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son goût de dominer et de « tirer la couverture à lui, » pour citer l’expression dont se sert l’abbé de Véri[1]. Un récent incident venait, tout justement, d’augmenter ces appréhensions. Le prédicateur de la Cour, pour le carême de 1781, était l’abbé Maury, le futur cardinal, considéré alors comme un « jeune ecclésiastique qui ne manquait pas d’esprit et de talent et comme ayant autant de politique et de désir de faire son chemin que de dons pour la chaire[2]. » Grand partisan du directeur, il ne perdait nulle occasion de prôner ses mérites, d’afficher son zèle pour sa cause. Le dimanche des Rameaux, prêchant dans la chapelle du Roi en présence de la Cour, emporté par son éloquence, il eut la téméraire idée « d’insinuer à Sa Majesté qu’il serait de son devoir de ne pas laisser reposer le gouvernement du royaume en des mains débiles et tremblantes, par où il désignait clairement le sieur comte de Maurepas[3]. » À ces paroles, grand émoi parmi l’assistance, suspicion partout répandue que l’orateur n’eût pas ainsi parlé, s’il n’eût été « inspiré de quelqu’un qui, par son canal, voulait faire parvenir de grandes vérités aux oreilles du jeune monarque. » Si bien qu’à la descente de chaire, le Roi s’approchait de Maury et l’interpellait en ces termes : « Monsieur l’abbé, je vous ordonne de ne parler à l’avenir que de Dieu, de son évangile, de ses Saints, et de ne plus vous immiscer dans les affaires de mon gouvernement. » L’incartade ne pouvait manquer d’être fort exploitée par les adversaires de Necker, donnée comme une démonstration nouvelle de son désir de supplanter Maurepas et de prendre en son lieu la direction suprême des affaires du royaume.

Dans les dispositions d’esprit qui résultaient de ces diverses causes, Louis XVI était plus accessible encore aux insinuations de Maurepas et aux avertissemens de ses frères. L’effervescence des parlemens acheva de le troubler. L’apparente fermeté de la première minute avait, chez lui, promptement fait place à des manières plus radoucies. Cinq jours après celui où il avait apostrophé le premier président d’Aligre, il consentait à recevoir, dans le particulier et sans titre officiel, quelques membres du parlement, qui désiraient lui apporter leurs plaintes. Il leur parlait « avec bonté » et leur expliquait en substance « que le

  1. Journal inédit, passim.
  2. Journal de Hardy, avril 1781.
  3. Ibidem.