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son entourage, la coterie Polignac, pour des raisons mal définies, s’étant retournée depuis peu contre le directeur. « La Reine, écrit à cette époque Mercy à Joseph II[1], daigne encourager et protéger le directeur général des finances. On a essayé toute sorte de voies pour lui nuire auprès de Sa Majesté, mais, quoique cette cabale fût dirigée par les alentours favoris, elle n’a point eu d’effet. » Il résultait, pourtant, de ces attaques multipliées, un peu plus de mollesse dans le soutien accordé par la Reine à un homme dont, au fond du cœur, elle appréciait le caractère et reconnaissait le mérite. Il faut encore noter que, plus heureux que son prédécesseur, Necker comptait au sein du Cabinet des appuis chaleureux : Castries et Ségur demeuraient, de cœur et de fait, sincèrement dévoués à sa cause. Choiseul, leur ami à tous deux, les fortifiait dans cette fidélité.

Mais la différence essentielle était dans les dispositions et dans l’attitude du clergé, dont la plus grande partie, en dépit du protestantisme, semblait ralliée de bonne foi à Necker, lui prêtait publiquement le secours de son influence. Sans doute, dans le début, il s’était rencontré par là des répugnances à vaincre, des préventions à dissiper, que j’ai mentionnées en leur temps. Mais, comme dit un gazetier[2], Necker avait eu la sagesse « de ne pas se roidir » contre une méfiance, après tout naturelle, et de s’appliquer, au contraire, à désarmer, par des avances adroites et des concessions opportunes, une hostilité redoutable. « Il a pris le parti, confirme le même publiciste, d’avoir beaucoup de liant avec les prélats, d’en avoir même à sa table et de leur rendre des services. » Sa politique ne s’était pas restreinte à de bons procédés mondains et il n’avait pas reculé devant des preuves plus efficaces de sa volonté conciliante, en abandonnant des projets dont le succès lui eût certainement été cher. Nul ne saurait douter qu’il n’eût ardemment désiré, dans le fond de son cœur, d’obtenir le retrait des prescriptions cruelles édictées autrefois contre ses coreligionnaires, de restituer aux protestans le libre exercice de leur culte et le statut légal ; de faire sanctionner, en un mot, par un document officiel, la tolérance qui, sauf quelques rares exceptions, existait en fait dès ce temps, les mœurs étant, là comme partout, plus fortes que les lois. Il y renonça néanmoins, il se tut, il remit à

  1. Lettre du 21 avril 1781. — Correspondance publiée par Flammermont.
  2. L’Espion anglais, t. IV.