Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 12.djvu/697

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

guinder, sensible jusqu’à en mourir. Son histoire : celle d’une adolescente, hier gaie et que surprend, comme un coup de tonnerre une enfant qui joue, la ruine. Le père se tue ; la mère, à la tâche trop lourde, succombe. Antoinette est la sœur aînée : elle se dévouera, — telle Henriette, sœur de Renan, — pour Olivier, son frère. La gaieté d’hier tourne en sagesse trop vite. L’histoire d’Antoinette : l’héroïsme de tous les instans, l’héroïsme qu’on ne voit pas, car il n’a ni orgueil ni éclat. Il n’a pas non plus de repos : et il se prodigue dans le secret delà pauvreté. Il n’a que lui et sa ferveur, la passion du devoir quotidien. Olivier aime Antoinette et l’aide comme il peut ; mais il la fait souffrir, avec ses bêtises de jeune homme. Et Christophe, plus tard, aimera le fantôme qu’il gardera d’elle ; mais, avec ses maladresses, il aura été l’une des causes de l’un des malheurs qui tombent dru sur elle, comme au vent de l’automne les feuilles sur l’eau d’une fontaine. Antoinette pâtira même de ceux qui l’aiment. Elle pâtira dans sa fierté, dans sa jeunesse, dans sa tendresse. Elle aura la petite mine désolante des jeunes filles qui ne sourient plus, à force de voir que rien ne leur sourit : un sourire a besoin de réponse. Dans les derniers temps, son effort réussira, pour Olivier, trop tard pour elle. Et, à l’heure dernière, presque au moment de mourir, elle ressentira la suprême velléité d’être heureuse. Comme si la mort, à côté d’elle, lui en donnait l’audace et le courage, elle écrira, — très vite, car elle va mourir, — une lettre pour Christophe, une lettre d’aveu, une lettre d’amour. Et elle rougira. Puis elle mourra ; et, sa lettre d’amour, on la trouvera, dans sa chambre. Comme si ce n’était point assez que le malheur l’eût suivie jusqu’à la mort, il accompagnera même son souvenir. Olivier, l’objet de tout son zèle et de son abnégation, se gaspillera, se perdra, sera tué dans une bagarre ; de sorte que l’héroïsme d’Antoinette n’aura servi de rien, ni son sacrifice, ni sa vertu, pas plus que sa beauté, que son jeune entrain.

Tout autre, Anna, dont le cœur est sournois, dont le cœur est un feu qui couve, puis s’élève et flambe ; Anna, exacte aux heures des offices dans le temple, et qui n’est que volupté chaude ; Anna aux pieds nus qui, de nuit, longe les corridors, pour aller à Christophe, dans le danger. Le mari n’est pas loin ; et la servante épie. Anna déjoue, astucieuse, la jalousie de l’homme et la curiosité de la fille. La cendre que la fille a répandue dans les corridors, afin qu’y fussent marqués les pas de l’adultère, elle en égalise la surface. Elle est hardie ; elle est maligne. Il y aura des drames ; elle voudra mourir, et par le gaz et par le revolver : sous le sein gauche, sur son cœur