Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 12.djvu/612

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’invention et des effets de coloris des Fêtes galantes est là. Arlequin, « nègre par son masque » et madré « serpent par ses vives couleurs, » son « souffre-douleurs » Cassandre, le blanc Pierrot, qui bat « de l’aile avec sa manche, comme un pingouin sur un écueil, » le docteur Bolonais qui « rabâche, » Scaramouche, qui, d’un coup d’épaule, écarte Trivelin et, d’une main preste, tend à Colombine « son éventail et son gant » et, traversant cette musique, l’inconnue en domino noir !… mais son « malin regard en coulisse » l’a décelée :

Ah ! Une barbe de dentelle
Que fait voler un souffle pur.
Cet arpège m’a dit : C’est elle !
Malgré les réseaux, j’en suis sûr.
Et j’ai reconnu, rose et fraîche,
Sous l’affreux profil de carton,
Sa lèvre au fin duvet de pêche,
Et la mouche de son menton.

Plus encore qu’à ce carnaval fantastique, où l’on peut voir comme un allegretto d’introduction de la sonate poétique de Gautier, certains tableaux des Fêtes galantes ressembleraient à l’andante si pénétrant : Clair de lune sentimental. J’y renvoie le lecteur, puisqu’on ne peut pas tout citer.

Le biographe le plus copieux et non le moins utile de Verlaine, Edmond Lepelletier, affirme sans hésitation que l’idée des Fêtes galantes aurait été suggérée à l’auteur par la lecture du XVIIIe siècle des deux Goncourt et, plus encore, par l’admiration des peintures de la galerie Lacaze, qui, nous dit-il, venaient d’entrer au Louvre. Il s’est trompé de date. C’est plusieurs mois après la publication des Fêtes galantes que l’État accepta le legs de la collection Lacaze, et le public ne la connut qu’en 1870. Mais eût-elle, depuis longtemps, reçu la visite de Paul Verlaine, il n’y a rien de commun entre l’art brillante et froid de Pater, de Lancret, ou même les exploits de palette du grand Watteau et cette poésie, inquiète sous ses airs badins, pensive jusqu’à la douleur sous le réseau du bel esprit, que le prêtre shakspearien, Théophile Gautier, avait révélée à Verlaine et de laquelle notre jeune poète au goût dédaigneux, aux préférences délicates, devait s’éprendre avec d’autant plus de vivacité, qu’il en retrouvait tous les traits, en abordant aussi, et peut-être au même moment, l’œuvre du dieu Shakspeare.