Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 12.djvu/600

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

avec les poèmes du même auteur qui l’ont précédé, m’ont amené à faire sur la formation toute savante de cet artiste exceptionnel, sur la genèse obscure et la claire révélation de son intime originalité.


I

Si jamais écrivain parut peu préparé par son éducation, par ses antécédens, à devenir l’auteur du livre de Sagesse, c’est Paul Verlaine, on n’en peut pas douter.

Dans une étude, ancienne déjà, sur les poètes symbolistes, Jules Lemaitre, ingénieux critique s’il en fut, ayant à définir celui qu’il regardait alors comme le chef de l’école nouvelle, imaginait de le représenter comme un satyre à qui serait, par aventure, échue une âme musicale, et dont les chants tiendraient, sans doute, le milieu entre le maladroit récitatif d’un gardeur de troupeaux et la plainte d’Orphée. Vraisemblable, sous certains aspects, cette assimilation est plus séduisante qu’exacte. Ni à l’heure, déjà surprenante, de ses débuts, ni au moment, presque miraculeux, de sa maturité, ni dans le crépuscule louche et affligeant de sa caducité précoce, Verlaine n’a été ce rustique inspiré, que son irrésistible instinct pousse aux vulgarités, aux images obscènes, mais par momens transporte, transfigure et fait rayonner comme un dieu. Le jeune homme, chez lui, — on peut dire l’adolescent, — est déjà un insigne artisan du vers, un virtuose sans égal, un raffiné voluptueux, un dandy littéraire, et, — pourquoi reculer devant le mot ? — un corrompu.

Il fait au lycée Bonaparte d’assez bonnes études latines et grecques ; mais là n’est pas son cœur. A seize ans, en seconde, il a « tout lu en fait de poésies et de romans. » Il cache dans son pupitre les Misérables de Victor Hugo. La « sensualité » qui, d’après ses aveux, le « prit » et l’ « envahit » entre « douze et treize ans, » le pousse à rechercher une délectation morbide dans des poèmes qui lui parlent de « perversités, » de « nudités : » à quatorze ans il pioche les Fleurs du Mal, et, dit-il, « ne les comprend guère ; » il en demeurera pourtant comme obsédé. Les Cariatides et les Stalactites de Banville, achetées chez un bouquiniste du quai Voltaire, le remplissent d’admiration. Il est émerveillé d’Albert