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considérables, tant pour la solde des troupes que leur nourriture, le ravitaillement en fourrages et en munitions, dont les armes modernes font une consommation énorme. Il faut, au cours de la lutte, alimenter sans relâche le Trésor, d’autant plus qu’en général une partie plus ou moins grande des approvisionnemens est tirée du dehors et que si, à l’intérieur des frontières, un gouvernement peut procéder par voie de réquisition, il doit payer comptant ce qu’il commande aux fournisseurs étrangers. Dès lors, il est nécessaire d’émettre des rentes, pour la souscription desquelles le concours des autres places est indispensable. C’est ainsi que la Turquie a, depuis longtemps, dû y faire appel. Il n’est qu’un tout petit nombre de nations qui soient assez riches pour trouver, chez elles, les sommes dont elles ont besoin pour subvenir à des dépenses extraordinaires. À peine pourrait-on citer, de nos jours, la France, l’Angleterre, les États-Unis et, jusqu’à un certain point, l’Allemagne comme capables de « financer » une grande guerre sans le concours d’autrui. Et encore a-t-on vu la France, en 1870, émettre l’emprunt Morgan sur le marché de Londres, et les États-Unis, de 1861 à 1865, vendre à jet continu des obligations fédérales sur les marchés européens : il est vrai qu’à cette époque, la puissance financière de l’Amérique du Nord était peu de chose en comparaison de ce qu’elle est aujourd’hui. L’Italie a, pendant une année, conduit les opérations en Tripolitaine et dans la Méditerranée sans émettre aucun titre sur les places étrangères : mais, aujourd’hui, pour liquider les dépenses de la campagne, elle va, dit-on, emprunter 600 millions. Grâce au cours qu’a conservé sa rente, qui est cotée à un prix plus élevé qu’aucun autre fonds d’État européen, à l’exception du nôtre, elle obtiendra sans doute cette somme à des conditions favorables.

Il y a un peu plus d’un demi-siècle que la Turquie a commencé à emprunter au dehors. Elle le lit au moment de la guerre de Crimée, durant laquelle ses troupes combattirent aux côtés des armées française et anglaise. Ses deux alliées garantirent ses obligations, gagées spécialement par le tribut égyptien, et leur assurèrent de la sorte un placement aisé, à un cours favorable. Il n’en fut pas toujours de même pour ses émissions postérieures, qui, au cours des vingt années suivantes, inondèrent les marchés occidentaux et formèrent bientôt un total de plusieurs milliards. La Turquie succombait sous le poids de cette