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républiques, où la vertu mâle et féroce maintenait l’austère constitution, le citoyen le plus vertueux était réputé celui qui poignardait l’artisan de la tyrannie ? »

Cette brochure « vraiment séditieuse, » comme dit Hardy dans son Journal, cet appel à l’assassinat, que l’on croirait écrit par un membre futur du club des Jacobins, ce factum sanguinaire enfin, fut tiré, assure-t-on, à six mille exemplaires et répandu partout par des mains inconnues. Dans certains riches hôtels du faubourg Saint-Germain, il en fut déposé des « ballots » véritables ; les femmes, en montant en carrosse, trouvaient des exemplaires jetés sur les coussins. Pourtant, en dépit des instances, des réclamations de Necker, Maurepas ne souffrit pas qu’on fit aucune recherche[1]. La découverte eût sans doute été trop aisée, elle eût surtout mené trop loin…


En présence d’un tel parti pris, les plus chauds partisans du directeur général des finances paraissent avoir perdu confiance dans la durée de son pouvoir. Beaucoup, toutefois, s’accrochaient à l’espoir qu’il pourrait se maintenir jusqu’au moment où la nature ferait justice de son principal adversaire, de celui qui, sous main, menait toute la campagne. L’âge de Maurepas, le mal dont il était atteint et dont les crises étaient de plus en plus fréquentes, leur faisaient supposer que l’attente ne serait pas longue. C’est ce qu’avoue l’un d’eux, ingénument et sans ambages : « M. Necker essuie toujours des persécutions. Bien des gens craignent qu’il ne se dégoûte. Moi, j’ai meilleure opinion de sa façon de penser ; j’espère qu’il prendra patience, jusqu’à ce qu’une attaque de goutte bien prononcée le délivre de son ennemi[2]. »


SÉGUR.

  1. Note de Mercy au prince de Kaunitz, passim.
  2. Lettres du chevalier de Pujol, loc. cit.