Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 12.djvu/560

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que les parlemens fussent privés des droits dont ils jouissent, et entre autres de celui de faire des remontrances. On a tiré du mémoire que j’ai lu au Roi en 1778 des conséquences absolument contraires à mes intentions… Ceux qui ont adressé ce mémoire au parlement de Paris savaient bien qu’une fausse opinion se prendrait sur quelques paroles et qu’ils feraient l’effet qu’ils se proposaient. Il n’y a pas d’exemple d’un procédé plus infâme ! »


IX

Que pouvaient, au surplus, les plus éloquens démentis devant le tolle furibond et le mouvement d’indignation qui, du sein de la capitale, se propagèrent bientôt parmi toutes les cours de province ? Le parlement de Paris se chargea d’exercer les premières représailles. Il se hâta de mettre en délibération l’édit établissant une assemblée provinciale dans le Bourbonnais, et vota tout d’une voix, presque sans discussion, le refus d’enregistrement. Après cette manifestation, il fut convenu qu’on enverrait des remontrances au Roi, pour réclamer la suppression de l’injurieux mémoire.

Louis XVI, informé du projet, trouva, pour y parer, un semblant de vigueur. Le premier président d’Aligre fut mandé à Marly. En entrant dans la pièce où se trouvait le Roi, la première chose qu’il vit fut le souverain qui, « dans l’embrasure d’une fenêtre, » causait familièrement avec le directeur, « en lui tenant la main appuyée sur l’épaule. » Il parut bien à tous que ce tableau touchant était prémédité. Entre le Roi et le ministre, l’entretien dura trois quarts d’heure. Quand Necker se fut retiré, le Roi appela le premier président : « J’ai appris, lui dit-il, que l’on devait délibérer au Parlement sur un mémoire que M. Necker m’a présenté. Je voudrais qu’il n’en fût pas question, et je vous exhorte à l’empêcher. — Sire, je ne le pourrai à la rigueur, mais je ferai tout ce qui sera en mon pouvoir. — En ce cas, reprenait le Roi, je vous ordonne de lever le siège et de rompre la séance, dès qu’on voudra parler. Je vous l’ordonne ; je ne veux pas que mon Parlement se mêle, en aucune manière, des affaires de l’administration. Vous pouvez vous retirer[1]. »

  1. Correspondance publiée par Lescure, 1er mai 1881. — Souvenirs de Moreau, tome II. — Notice sur M. Necker, par A. de Staël. — Lettres du chevalier de Pujol, loc. cit.