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zélé fonctionnaire[1]. Le prince, de mauvaise grâce, déférait à cette injonction ; mais il ruminait sa vengeance et la préparait patiemment. Elle sera bien digne de lui, habile, sournoise, empoisonnée.


III

Ainsi, malgré la solidité apparente du « restaurateur des finances » et les racines profondes jetées dans l’opinion, de gros nuages, chargés de menaces, s’assemblaient sur les cimes, et des souffles couraient dans l’air, annonçant la prochaine rafale. Les symptômes précurseurs furent une avalanche de pamphlets, dont celui de Cromot semble avoir fourni le modèle. Le nombre en fut si grand, qu’on put, cette même année, en choisissant seulement les plus notoires et les mieux rédigés, en emplir trois volumes, qui les ont transmis jusqu’à nous[2]. Les mémoires, les gazettes et les correspondances du temps en mentionnent encore beaucoup d’autres, — comme l’Anti-charlatan, publié en anglais, comme le Dialogue entre Mme Necker, M. de Lessart et le marquis de Pezai, — qui firent plus ou moins de bruit dans le monde. Certains de ces morceaux sont habilement tournés, rédigés avec art ; il en est d’autres, plus nombreux, qui sont d’une plate et grossière malveillance. On y dénonce « l’incapacité » de Necker ; on l’y attaque sur sa naissance, sur ses manières, sur son charlatanisme. On l’y compare souvent à Law ; l’une des brochures présente un assez ingénieux et adroit parallèle entre les procédés des deux financiers étrangers et leur prédit une fin semblable. Dans quelques pièces, plus venimeuses encore, on met sa probité en doute. Sa femme même n’est pas épargnée, et les railleries abondent sur ses prétentions littéraires et son prétendu « pédantisme. »

Que Maurepas, tout en protestant hautement de son indignation, ait toléré sous main, même encouragé cette campagne, il est difficile d’en douter. Mieux encore, il parait certain qu’il en a plus d’une fois inspiré les auteurs. Deux des pièces les

  1. Journal de Hardy, 21 septembre 1780.
  2. Collection complète de tous les ouvrages pour et contre M. Necker, avec des notes critiques, politiques et secrètes ; 3 vol. in-8. Utrecht, 1781. — Malgré le titre de ce recueil, il ne renferme, en réalité, à l’exception du Compte rendu et du Mémoire sur les Assemblées provinciales, que des attaques contre Necker, ou plutôt une partie d’entre elles, dont plusieurs sont d’une habile malice.