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s’en était emparé pour obtenir de lui le secret de cette mort foudroyante. C’aurait été, pour cet homme dépourvu de vie intérieure, un soulagement et un sujet de résignation que de savoir le nom de la maladie si brève qui avait emporté l’artiste ; et, jusque dans ce coup du sort, il ne voulait pas de mystère. François Fontœuvre s’était arrêté au lit, et son regard ne se détachait pas de ce visage de cire à l’immobilité terrifiante. Hélène, assise au fond, sous le Sphinx, égrenait son chapelet.

Et tous ceux qui avaient connu Nicolas, ceux qui l’avaient combattu, ceux qui l’avaient aimé, ceux qui s’étaient enflammés pour son œuvre et ceux qui avaient proclamé sa déchéance, les artistes, les critiques, les journalistes, restaient là, fascinés par les grands êtres surhumains accrochés aux murailles, par la figure inachevée du Christ, mais surtout par le mort. Les lèvres qui avaient tant parlé naguère du monde invisible ne bougeaient plus ; les mains inspirées qui avaient essayé de le peindre étaient liées pour toujours ; l’homme ardent qui, soulevant le manteau de plomb du matérialisme, avait tenté d’emporter les masses vers l’idéal, n’était plus. Mais la leçon du monde invisible sortait plus puissante que jamais de ses lèvres fermées, de ses mains immobiles, de son impassibilité. Une voix émanait de lui, qui perçait jusqu’à leur conscience les êtres troublés invinciblement attardés ici, et leur posait la redoutable interrogation que les morts laissent aux vivans : « Savez-vous où je suis allé ? »

Colette Yver.