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ouvert devant nous est celui du ciel ! Pensez à Léonidas ! Nous allons mourir pour la liberté et pour la foi chrétienne ! » Nous répondîmes d’un grand cri d’enthousiasme ; et, presque aussitôt, deux balles vinrent déchirer la poitrine qui, dans d’innombrables combats, avait bravé la mort.

De son côté Mizewski criait a ses compatriotes : « A moi, mes frères, dans la victoire ou dans la mort montrons-leur ce que c’est que des cœurs polonais ! » Une douzaine de ses compagnons le suivirent, redescendirent audacieusement dans le village, et purent même se faire un chemin jusqu’à l’église, dont ils s’emparèrent : de là, par les fenêtres, ils tiraient sur l’ennemi aussi longtemps qu’il leur restait des munitions. Puis, lorsqu’ils eurent épuisé leur réserve, l’afflux des Turcs les obligea à monter sur le toit de l’église, d’où ils lançaient sur les assiégeans une grêle de tuiles, de plâtras, de pierres et de poutres. Enfin les Turcs les rejoignirent en foule sur le toit : on combattit d’homme à homme, dans une effroyable mêlée, où les poings et les dents jouaient un rôle aussi important que les sabres et les baïonnettes. Jamais existences ne furent payées plus cher que celles de ces intrépides Polonais. Renversé, foulé aux pieds. Mizewski se défend encore ; il se redresse, un fracas de tonnerre s’élève du toit de l’église ; nous entendons un grand craquement, un cri d’angoisse lui succède ; et voici que le toit s’effondre soudain, ensevelissant sous ses ruines les héros polonais avec la foule furieuse de leurs ennemis !


Vient ensuite, dans les Souvenirs d’Elster, un tableau non moins émouvant du terrible siège de Missolonghi. Mais bientôt notre Philhellène, devant la perspective d’être pris et torturé par les Turcs, commence à se sentir las de son sacrifice pour une cause qui, d’ailleurs, lui paraît sans espoir : si bien qu’en compagnie d’un officier français il s’échappe, la nuit, de la ville assiégée, et pendant de longs mois nous le voyons errer dans les campagnes grecques, où parfois on l’accueille avec honneur comme un survivant de Pœta et parfois on le poursuit à coups de pierres comme un déserteur de Missolonghi. Tout cela est raconté avec tant de verve ingénue, et entremêlé d’une si amusante série de portraits ; de paysages et de menus traits d’observation familière que nous ne pouvons nous empêcher de déplorer l’heureuse fortune qui, aux dernières pages, permet enfin à Daniel Elster d’oublier pour toujours, dans les bras de sa Rosette, son vieux rêve d’émancipation des peuples opprimés.


T. DK WYZEWA.