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existence de vaincus. Au moindre rayon d’espérance, nous voyons leurs yeux se rouvrir plus librement, se dépouiller de leur expression d’hostilité sournoise. Et pas un moment, malgré la mauvaise humeur trop légitime qu’inspirent à Daniel Elster les témoignages trop évidens de leur ingratitude à son endroit, pas un moment il ne manque de proclamer l’incomparable courage de ces soldats improvisés, leur héroïque dédain de la mort, leur acharnement à reconquérir la possession de leur sol.

Non pas, au reste, que la conduite des Philhellènes, telle qu’il nous la montre en regard de l’attitude de ces autochtones, ne mérite également notre admiration. Il est bien vrai que, à Argos et à Missolonghi, pendant les intervalles d’inaction, ces collaborateurs volontaires des Grecs insurgés recommencent volontiers la comédie qu’ils ont jouée naguère à Marseille. De nouveau ils se jalousent et se querellent entre eux, rendant très malaisée à leurs chefs la tâche de les garder sous un même drapeau. Une haine de races a remplacé désormais les anciennes rivalités personnelles. De jour en jour, l’abîme se creuse entre le groupe des Latins et celui des Germains ; les premiers ayant pour eux la faveur du prince Maurocordato, tandis que les seconds se flattent de la présence, à leur tête, d’un homme qui semble vraiment avoir réuni d’éminentes qualités d’esprit et de cœur, — le général Normann, dont le talent lui a naguère valu la sympathie de Napoléon, et qui ensuite, en 1813, s’est attiré la disgrâce des souverains alliés pour n’avoir pas voulu tourner ses troupes saxonnes contre l’ancien ami et protecteur de son Roi. Il a beau, maintenant, prêcher à ses compatriotes l’indulgence et la concorde : sans cesse les deux sections du camp philhellène échangent des insultes, des bourrades, voire des coups d’épée plus funestes encore que le coup de pistolet qui a endommagé la cervelle du vaniteux Lasky. Mais qu’on signale seulement l’approche des Turcs, et sur-le-champ les querelles s’interrompent, les rangs se reforment, et d’un élan unanime Latins et Germains courent à la victoire, — ou à la mort.


Combien j’aurais voulu pouvoir citer, tout au moins, la relation que nous fait Elster de cette tragique bataille de Pœta dont il a été l’un des rares survivans ! Impossible d’imaginer des combattans modernes à la fois plus proches des anciens héros de Plutarque et, d’autre part, réalisant mieux l’idéal nouveau du génie « romantique. » Le 15 juillet 1823, le bataillon des Philhellènes a été envoyé au village de Pœta, situé à la sortie d’une gorge par laquelle doit passer