Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 12.djvu/396

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’emploi de cette pratique, tombée le plus souvent aux mains des charlatans.

En France, l’importation de la variolisation est liée au nom de Tronchin, le médecin de Genève, élève de Boerhaave et ami de Voltaire. À ce moment, — au milieu du XVIIIe siècle, — la variole jetait la terreur partout. En fait, personne ne paraissait à l’abri des coups de la terrible maladie : Louis XV en est atteint en 1728 et guérit, sans remède mais non sans médecin. Le Dauphin en guérit en 1752, mais après force saignées. La Duchesse d’Orléans l’a à son tour en 1754, une année où « le ravage de cette maladie est surprenant. » En 1723, la petite vérole est « mêlée de pourpre, » désole toutes les familles ; il meurt « une infinité de monde. » En 1731, la maladie « continue de tomber sur les gens de qualité ; » elle tue l’évêque de Périgueux, le duc de Rochechouart. La duchesse de Bourbon, qui en est atteinte, « a déjà été saignée sept fois du pied : les médecins ont la rage pour faire ainsi saigner et ils n’en démordent pas. » Aussi, dit le Journal de Barbier, quand le duc de Chartres en est atteint, à Saint-Cloud, l’année suivante, « on en a exclu les médecins et il est parfaitement hors d’affaire. »

C’est alors, au milieu de ce désarroi médical et de ce découragement général, après la mort d’une inoculée, Mlle Châtelain, que le Duc d’Orléans fit, en 1756, appeler Tronchin pour inoculer ses deux enfans : le Duc de Chartres et Mlle de Montpensier. Le docteur Rondelet a raconté récemment toutes les résistances que le Duc d’Orléans eut à vaincre pour faire faire cette opération par Tronchin : depuis le Roi jusqu’à la Duchesse d’Orléans elle-même, l’opposition était générale.

Le 10 avril, la Gazette de France annonça l’heureuse issue de l’opération : comme après une victoire sur l’étranger, « ce fut un enthousiasme délirant ; la duchesse ayant paru à l’Opéra avec ses deux enfans, des applaudissemens et des acclamations sans fin l’accueillent, comme si les deux princes avaient échappé miraculeusement à la mort. Tronchin est, dès lors, célébré comme un sauveur ; on se presse sur son passage, on enregistre ses moindres gestes. Les poètes portent aux nues l’exploit qu’il vient d’accomplir… c’est à qui pourra l’approcher… Les carrosses encombrent la rue où il habite, à ce point que la circulation en est interrompue… Mme de Villeroi attend la première place vacante pour être inoculée, mande Voltaire à la comtesse de