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orgueil. L’esprit militaire, qui jusque-là divinisait la force comme une souveraineté justifiée en tous ses actes et parfaite en soi, paraissait trop soldatesque, trop étroit, trop anachronique, à l’esprit contemporain. Mais, tandis que les sophistes nous imposaient d’opter entre les armes et la civilisation, l’armée coloniale servait la civilisation par les armes. Elle a ainsi renouvelé le concept de la force, élevé l’idéal de la victoire et permis à la France de rajeunir, en le continuant, son culte de l’épée.

A de tels hommes, pour qu’ils glorifiassent par toute leur force la France, que faudrait-il ? Qu’on les employât à des tâches choisies avec intelligence, préparées avec soin, poursuivies avec suite. Ce sont les gouvernemens qui mettent l’obéissance sur les bons chemins ou dans les impasses. Mais des gouvernemens mêmes il n’y a pas à désespérer. L’infériorité de ceux qui doivent commander sur ceux qui doivent obéir est un désordre, mais elle laisse à l’avenir plus de chances que n’en préparerait la dictature du plus magnifique génie sur une foule sans virilité. Une élite, qui attend un gouvernement, le prépare par cela même, elle le soulève malgré lui à mesure qu’elle monte, elle travaille à l’établir par un effort où elle se couronnerait. L’œuvre suscitera quelque jour le « maître de l’œuvre. » On appelait ainsi au moyen âge l’architecte. Or ce ne furent pas les architectes qui, venus les premiers, transformèrent la multitude, et, la trouvant ignorante des métiers, la rendirent peu à peu capable d’obéir. Ce furent les compagnons qui, après s’être choisis, éprouvés, rompus aux détails de chaque labeur, et quand seule leur manqua, pour tenter davantage, une direction, changèrent leur impuissance en fécondité, élevèrent sur les ailes de leur désir commun les plus intelligens à la hauteur d’un art plus complet, et firent, par ces chefs sortis d’eux et venus les derniers, jaillir du sol français la gloire de nos cathédrales. De même aujourd’hui, les ouvriers de la grandeur française sont prêts, les pierres solides et bien taillées couvrent la terre. Elles s’élèveront en remparts, et même en arcs de triomphe, quand viendra le maître de l’œuvre, l’assembleur de forces.


ETIENNE LAMY.