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découvrir sa route sait écarter le feuillage des buissons où il est retenu. L’égoïsme, fortifié en habitude, étouffe les croyances où il trouverait sa condamnation. Et l’inconsistance des doctrines fait l’inconsistance des caractères. À ce mal la vocation africaine apporte un remède. Elle rappelle à l’homme, par ses multiples risques, la précarité de la vie, et par le voisinage de la mort rodante, rend l’espoir de l’au-delà. Elle lui rend, par toutes ses épreuves, plus souhaitable la certitude que ses sacrifices servent à un ordre supérieur à ses joies, elle lui rend plus nécessaire la présence d’un maître assez surhumain pour assister les oubliés, connaître les obscurs, voir ceux qui peinent et succombent sans être vus de personne. Le désert, le courage et le danger sont religieux. Les officiers de la mission Marchand étaient des croyans. Leur foi ne se répand pas avec indiscrétion. Mais pour la tombe de Genty, Marchand fait forger une croix de fer, qui sur la mort mette de l’espérance. Le Journal porte à la date du 8 avril 1898 : « C’est aujourd’hui le Vendredi-Saint. Il a été convenu que nous ferions maigre. » Et le surlendemain, dimanche de Pâques : « Je ne puis m’empêcher de penser à tous les miens en ce grand jour. Les cloches « sont revenues de Rome » depuis hier et leur carillon joyeux met en fête mon cher village. Les circonstances de la vie ont beau nous éloigner delà pratique de la religion, les principes inculqués par l’éducation première ne s’oublient pas. » Et à la veille d’entrer dans le marais : « Je me repose avec délices sous ma tente grande ouverte, en relisant quelques chapitres de la Bible. Il faut faire provision de forces physiques et morales pour les huit jours qui vont venir. » Cette foi n’est pas seulement une particularité de leur vie, elle en est l’armature. C’est elle qui soutient tous leurs courages, parce qu’elle fait raisonnables toutes leurs vertus.

Et ils ne furent eux-mêmes qu’une élite parmi des égaux, les aînés d’une vaste famille, les volontaires à la place desquels d’autres seraient venus. Et la terre d’Afrique n’a pas cessé de former des officiers semblables à ceux-là. Le jour où la nation aura l’emploi de ses serviteurs, elle sera surprise de ce qu’ils feront pour elle, et, parmi ces ignorés, beaucoup surgiraient chefs, au premier appel du sort. La France par les mérites de tels fils reste la privilégiée des races. Toute notre histoire est faite d’un génie guerrier qui hier semblait à bout. Notre armée, qui avait été la défaite et qui n’était pas la revanche, ne flattait plus notre