Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 12.djvu/378

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

advienne, par la paix ou par la guerre y restera. Et sa parole, exempte de toute vantardise, est la voix d’une résolution si certaine, et le soldat expert à lire dans les yeux de soldats a si bien vu dans le regard du chef français la volonté de tenir parole et de rester, en effet, à Fachoda, vivant ou mort, qu’une telle puissance d’obstination l’arrête et que, devant cette immobilité tragique, il recule. Kitchener part et laisse à Marchand Fachoda. Deux hommes ce jour-là ont été grands, l’un parce que, armé, il a su être doux, l’autre parce que, désarmé, il a su être impérieux, que l’un a fait le sacrifice de sa force, et que l’autre a exercé la force de son sacrifice.

C’est une victoire, combien amoindrie dès le lendemain ! Kitchener est parti en laissant, sous les ordres d’un colonel anglais, une partie de sa flottille et de ses troupes. Le bataillon égyptien qui prend terre dans le voisinage immédiat de Fachoda, et les bateaux mouillés près de la rive ne tiennent pas compte du protectorat établi par Marchand sur la région. Mais le moyen pour Marchand d’interdire le fleuve et la terre qu’il n’occupe pas ? Et même le moyen de protester contre ces rivaux qui prétendent au même protectorat et, malgré lui, tolèrent la présence des Français ? C’est l’équilibre des possessions provisoires dans le lieu disputé. Mais aussitôt la possession anglaise tourne à la prépondérance. Le bataillon égyptien a trois fois plus d’hommes que nous, il se fortifie dans une redoute à deux cents mètres de nos remparts, et l’arme d’une artillerie très supérieure à la nôtre. La flottille s’arroge la police du fleuve et la surveillance de nos embarcations. Enfin un poste important, établi au confluent du Sobat et du Nil, épie et au besoin couperait nos communications avec l’Oubanghi. Contre les renforts qui nous viennent par là on se garde d’avance, notification nous est faite que le droit de visite sera exercé sur le Faidherbe à chaque passage. Qu’adviendra-t-il, si le navire attendu ramène la compagnie de tirailleurs ? Cette inquiétude dure autant que l’espoir de leur arrivée. Mais le Faidherbe revient vide, les barrages d’herbes l’ont coupé dans le Bahr-el-Gazal. La déception rend plus précieuse la nouvelle, de nouveau apportée par les indigènes, que les Abyssins parcourent la plaine de la rive droite, « nombreux comme la paille. » Si c’était vrai ! Deux cours d’eau, le Yall et un autre, qui traversent cette plaine, débouchent dans le Nil, en aval et non loin de Fachoda. Ils n’ont pas été visités encore