Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 12.djvu/359

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que, si les plénipotentiaires de l’Europe doivent se réunir, ce ne soit pas pour remettre en question les problèmes tranchés par le canon et pour attribuer à d’autres qu’à ceux qui ont été à la peine les avantages acquis au prix du sang. Les grandes puissances ont à sauvegarder des intérêts, non pas à satisfaire des ambitions. De quelque façon que soient conduites les négociations qui suivront la paix, elles consacreront un grand fait nouveau : les petits Etats, cette fois, auront voix au chapitre ; la victoire a forcé les portes que la justice n’avait pas suffi à leur ouvrir. Ils demanderont aux grandes puissances de pratiquer à leur égard, en Orient, cette politique de non-intervention dont elles ont si longtemps recommandé l’usage vis-à-vis de la Turquie. Plus les conditions de la paix réaliseront la formule : « les Balkans aux peuples balkaniques, » plus l’œuvre des négociateurs aura de chances de durer et de ne pas devenir, comme l’a été le traité de Berlin, une source de complications nouvelles et de guerres. Que la sagesse des grandes nations, enfin éclairée par l’expérience, craigne de faire œuvre artificielle ; qu’elle redoute toute solution qui violenterait les aspirations des peuples ! Plus les idées et les mœurs démocratiques se répandent en Europe, plus la conscience des peuples proteste contre les formes anciennes du droit de conquête qui disposait des hommes contre leur gré et contre leurs affinités naturelles. La péninsule des Balkans ne trouvera un équilibre durable et, ne verra s’ouvrir une ère de paix et de prospérité que si les frontières des Etats correspondent, autant que possible, aux frontières des peuples. Quelles que soient les solutions qui interviendront, il faudra bien que les formules diplomatiques traduisent cette vérité essentielle que, si les intérêts matériels de chaque pays et ses entreprises au dehors ont droit à la sollicitude des gouvernemens, il existe quelque chose de plus précieux, et qui mérite qu’on y prenne garde plus qu’on ne faisait au temps de Napoléon ou de Bismarck : il y a des hommes, et qui ont le droit de vivre, puisqu’ils savent si bien mourir.


RENE PINON.