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base, l’enseignement obligatoire du turc[1]. Ainsi se marquait le caractère centralisateur et nationaliste turc de la Révolution.

Les grandes puissances péchèrent par excès de confiance ; quelques semaines après la révolution, elles cédèrent aux instances des Jeunes-Turcs et consentirent à renoncer au régime des réformes tel qu’il fonctionnait avec de bons résultats en Macédoine. Elles étaient lasses des difficultés toujours renaissantes que suscitait l’application des réformes, des dépenses qu’elle nécessitait ; elles étaient presque aussi pressées de les abandonner que les Jeunes-Turcs avides d’en être délivrés. Les réserves formulées pour l’avenir par le Cabinet de Pétersbourg étaient insuffisantes pour atténuer cette hâte regrettable. Si les Jeunes-Turcs avaient été moins présomptueux et plus prudens, ils auraient trouvé, parmi les agens européens des réformes, des guides expérimentés qui les auraient aidés à organiser complètement les vilayets de Macédoine, et, de là, les règles et les coutumes d’une bonne administration auraient pu se répandre dans tout l’Empire. Livrés à eux-mêmes, ils entassèrent les fautes sur les iniquités et s’aliénèrent sans remède les populations chrétiennes de la Macédoine. Bulgares, Serbes et Grecs avaient apporté à la révolution un concours sincère ; ils étaient aussi las du régime hamidien que de la tyrannie des bandes qui, de répressions en représailles, avait inondé de sang et couvert de ruines leur malheureux pays ; aussi, en avril 1909, vit-on les chrétiens marcher les premiers sur Constantinople pour défendre la Constitution. La chute d’Abd-ul-Hamid, l’avènement définitif du régime jeune-turc avec Mohammed V sont peut-être, dans l’histoire contemporaine de la Turquie, le moment unique où une réconciliation des nationalités aurait pu se faire dans l’enthousiasme général de la liberté conquise. Mais les esprits des Jeunes-Turcs, nourris d’abstractions, pénétrés de préjugés, gonflés d’orgueil, ne s’ouvraient pas à des conceptions qui eussent été à la fois politiques et humaines ; leur tempérament autoritaire prit le dessus ; avec de grands mots de liberté et de progrès ils firent peser sur la Turquie, et particulièrement sur la Macédoine, cette tyrannie assimilatrice et centralisatrice qui les a entraînés rapidement à leur chute et qui menace de conduire à sa ruine, avec eux, l’Empire Ottoman. En 1909, après les

  1. Voyez le livre du capitaine A. Sarrou : La Jeune-Turquie et la Révolution, p. 40 et suiv. (Berger-Levrault, 1912, in-16.)