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regardés par le gouvernement turc, par les musulmans, et plus encore par le Sultan, comme formant une classe dangereuse qui doit rester subalterne. » Les réformes solennellement promises n’ont donc pas été appliquées ; bien plus, la nouvelle politique d’assimilation et de centralisation, pratiquée depuis 1839, devint un prétexte pour dépouiller les populations chrétiennes des privilèges et des droits d’autonomie provinciale et communale, qu’elles tenaient de la coutume, depuis le temps de la conquête, si bien que leur sort était pire qu’avant l’ère des réformes, tandis que les proclamations du Sultan et les promesses des puissances leur donnaient une conscience de plus en plus nette de l’état d’infériorité où elles étaient réduites. Tous les Cabinets européens étaient d’accord pour reconnaître qu’une pareille situation ne pouvait manquer d’amener, un jour ou l’autre, des complications graves, mais ils se refusaient à prendre les mesures nécessaires pour faire appliquer les réformes. Le Cabinet russe terminait son mémorandum de 1867 par cette phrase que l’on croirait datée d’hier : « Les populations chrétiennes ont subi de trop cruelles et de trop fréquentes déceptions pour se fier au bon vouloir ou au savoir faire des autorités musulmanes. »

Au milieu de ces leurres et de ces déceptions apparaît, le 11 mars 1870, un fait positif. La Porte concède à la population bulgare le firman constituant l’exarchat. C’était, dans l’esprit du Sultan, créer un schisme parmi ses sujets chrétiens, diviser pour régner. L’histoire en jugera autrement, car c’est autour de l’exarchat que s’est constituée la nationalité bulgare. A partir de 1875, les troubles de l’Herzégovine amènent les chancelleries à s’occuper de nouveau des réformes à introduire dans l’Empire. Le Sultan aussitôt proclame (12 décembre 1875) un firman concédant des réformes générales étendues. La « note Andrassy » (30 décembre 1875) cherche à faire l’union des puissances autour d’un programme de réformes. Le nouveau sultan Abd-ul-Hamid imagine un coup de maître ; il fait rédiger par Midhat pacha une constitution, celle-là même que les Jeunes-Turcs ont exhumée en 1908, et, le 23 décembre 1876, le jour même où la conférence de Constantinople va s’ouvrir, il en fait la promulgation solennelle. La parade est habile : aux plénipotentiaires de l’Europe la Constitution permet au Sultan de répondre tantôt : j’accorde plus que vous ne me demandez ; tantôt : ceci est contraire aux lois de l’Empire. Le protocole de la dernière séance porte en un