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ne se tournent pas ensemble pour empêcher un malheur pareil, qui tombera, un peu plus tôt ou un peu plus tard, sur eux tous !… Depuis trente-sept ans, il fait le malheur de l’Europe, par son despotisme et ses violences. Je ne parle pas pour l’Autriche ; c’est la cause de tous les princes. L’avenir n’est pas riant. Si on lui laisse gagner du terrain, quelle perspective pour ceux qui nous remplaceront ! » Tantôt Joseph s’adresse à la sensibilité de la Reine, en mettant sous ses yeux la vision des batailles prochaines : « Puisque vous ne voulez pas empêcher la guerre, nous nous battrons en braves gens. Dans toutes les circonstances, ma chère sœur, vous n’aurez pas à rougir d’un frère qui méritera toujours votre estime[1]. »

Ces accens solennels, au dire de Mercy-Argenteau émeuvent Marie-Antoinette « jusqu’aux larmes, » lui arrachent l’engagement de tenter un suprême effort. « C’est mon cœur seul qui agit, » écrira-t-elle ingénument. D’ailleurs, l’ambassadeur accourt à la rescousse ; il montre à la souveraine son crédit ébranlé, l’échauffe, comme il s’en vante, sur « l’avanie qui lui est faite, » lorsqu’on néglige de prendre son avis, lorsqu’on négocie ouvertement avec la Prusse, sans lui soumettre les dépêches, sans même la tenir au courant des résolutions prises. Longuement chapitrée, excitée, la tête montée par ces propos, la Reine s’en va trouver Louis XVI et lui adresse d’amers reproches. Il s’ensuit une scène pathétique, où la jeune femme plaide avec la plus vive chaleur pour sa famille, pour sa première patrie, et enfin, à bout d’argumens, se met elle-même en cause : « Je n’ai pu cacher au Roi la peine que me faisait son silence. Je lui ai même dit que je serais honteuse d’avouer à ma chère maman la manière dont il me traitait dans une affaire aussi intéressante pour moi !… »

Dans cette conjoncture difficile pour un époux épris, devant ces plaintes mêlées de larmes, la simple bonhomie du Roi lui inspira la seule réponse à faire. « J’ai été désarmée par le ton qu’il a pris, confesse Marie-Antoinette à sa mère. Il m’a dit : « Vous voyez que j’ai tous les torts, et je n’ai pas un mot à vous répondre[2]. »

De fait, rien ne fut modifié dans la ligne adoptée. Aucune raison de sentiment ne prévalut contre les circonstances et les

  1. Lettres des 20 avril et 17 mai 1778. — Correspondance publiée pur d’Arneth.
  2. Lettre du 12 juin 1778. — Ibidem.