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Tout en faisant, dans ers propos, la part de l’exagération, on ne peut révoquer en doute l’insouciance de Sartine, son incurie en matière financière. Les dépenses ordinaires de son département progressaient, en effet, dans une mesure que la guerre d’Amérique ne pouvait pas entièrement justifier. Le budget de la Marine, qui, à l’avènement de Sartine, était de trente-quatre millions, montait, quatre ans plus tard, à cent soixante-neuf millions, en n’y comprenant pas les dépenses spéciales de la guerre. Par une conséquence naturelle, de fous les ministres du Roi, le ministre de la Marine était celui qui répugnait le plus à soumettre ses comptes et ses opérations à l’examen et au contrôle du directeur général des finances. A chaque instant, ses trésoriers émettaient des billets, contractaient des emprunts, sans entente préalable avec le service des finances, qui n’en était informé qu’après coup. Ces irrégularités fâcheuses amenaient, dans les séances de comités, entre Necker et Sartine, des explications orageuses, parfois même des scènes violentes, que mentionnent les gazettes et les lettres du temps, et qui aboutissaient souvent, de la part de l’un ou de l’autre, à l’offre de sa démission. Louis XVI et le comte de Maurepas étaient constamment occupés à calmer ces querelles et à ramener la paix entre les deux collègues[1]. Grâce à leurs soins, chaque fois, jusqu’à ce jour, intervenait une réconciliation, tout au moins apparente ; on s’attendait pourtant, dans un temps plus ou moins prochain, à quelque irréparable éclat.

On crut cette heure venue dans la séance du 4 juillet 1780. Sur une riposte assez impertinente du ministre de la Marine, Necker, cédant à la colère, lui déclarait tout net que, « s’il avait besoin de sa place, il pouvait la garder, mais que, comme il n’avait, quant à lui, nul besoin de la sienne, il était prêt à la remettre entre les mains du Roi. » Maurepas, présent, s’interposait, apaisait de son mieux les interlocuteurs, parvenait, non sans peine, à les raccommoder. Malgré ce replâtrage, à la séance suivante, où Sartine était convoqué, Necker « s’abstenait de paraître, » si bien que plus d’un nouvelliste annonçait déjà sa retraite[2].

Ces conflits d’ordre financier se compliquaient d’une profonde

  1. Correspondance publiée par Lescure, 13 novembre 1778, 5 juillet 1779. — Journal de Hardy, 1779. — Mémoires de Soulavie. — L’Espion anglais, etc.
  2. Journal de Hardy, juillet 1780.