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courir chez son épouse, pour être le premier à lui en porter la nouvelle[1]. Ce n’est plus un mari qui plie par crainte des bouderies et des scènes, c’est un homme amoureux qui veut plaire à sa femme. Nous aurons bientôt l’occasion de remarquer le résultat de ce nouvel état d’esprit.

Les « espérances » données par Marie-Antoinette ne sont pas non plus sans effet sur l’opinion publique. Il est facile de reconnaître une certaine différence d’accent dans les documens qui reflètent l’impression populaire. « Notre charmante Reine se porte à merveille et reçoit chaque jour les hommages les plus flatteurs de toute la nation… Les juifs et les protestans ont établi dans leurs églises des prières solennelles pour son heureuse délivrance[2]. » Ainsi s’exprime une des gazettes les plus habituellement malveillantes pour la jeune souveraine. « La grossesse de la Reine, écrit un autre nouvelliste, lui a ramené bien des gens, et a fait oublier différens torts qu’ils imputaient à cette princesse. » C’est avec anxiété que, dans le peuple et dans la bourgeoisie, on attendait l’issue des couches. Tant de personnes, pour être plus tôt informées, s’étaient établies à Versailles, dans les dernières semaines avant la délivrance, que, devant l’affluence, le prix des logemens et des vivres avait presque triplé. La naissance d’un dauphin faisait l’objet de tous les vœux. Ce fut une fille qui vint, et la déception fut immense.

Pourtant, à la nouvelle de l’accouchement laborieux de la Reine, des dangers qu’elle avait courus, l’émotion ressentie amena comme un nouveau regain de popularité. Le péril, en effet, avait été réel. Le rejeton royal n’avait paru qu’après douze heures de vives souffrances. Une foule considérable, selon l’usage barbare du temps, se pressait dans la chambre et entourait le lit, au point de gêner les mouvemens de l’accoucheur Vermond. Aux premiers vagissemens, il y eut des acclamations et de « bruyans battemens de mains, » auxquels succéda brusquement le plus morne silence, quand on connut le sexe de l’enfant. La Reine, tout épuisée qu’elle fût, comprit, leva les bras, s’écria : « C’est une fille ! » puis retomba sans connaissance[3]. Une abondante saignée du pied parvint à conjurer

  1. Journal de Véri, 1779.
  2. Correspondance publiée par Lescure, 10 octobre 1778.
  3. Journal de Hardy. 21 décembre 1778. — Madame Royale naquit le 19 décembre, à onze heures et demie du matin.