Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 12.djvu/26

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

quelques morceaux de territoire dans les Pays-Bas autrichiens. Les pourparlers, entamés à la hâte, rondement menés, amenèrent le résultat souhaité par Joseph II. Le 3 janvier 1778, une convention était signée, qui consacrait l’accord. Il ne restait qu’à effectuer en fait la conquête inscrite sur papier, et c’était là le difficile,

Il était, en effet, trop facile de prévoir que ce que Joseph II appelait lui-même « son coup pour arrondir l’Empire » aurait pour résultat de mécontenter fortement son puissant voisin Frédéric, et il fallait l’aveuglement causé par sa folle convoitise pour croire que le roi de Prusse laisserait paisiblement grandir près de lui son rival, et qu’une telle aventure se passerait en douceur, sans explications ni querelle. La France, de son côté, ne pouvait pas non plus se montrer satisfaite. Les alliances, quelles qu’elles soient, ne sont pas éternelles, et nous n’avions pas intérêt à voir se fortifier et s’étendre vers nos frontières une grande puissance que, récemment encore, nous rencontrions devant nous sur tous les champs de bataille. Les lettres de l’Empereur à Mercy-Argenteau montrent d’ailleurs que, sur ce dernier point, il se faisait peu d’illusions ; mais il ne s’en émouvait guère : « C’est une de ces époques, mandait-il à l’ambassadeur[1], qui ne viennent qu’une fois dans des siècles et qu’il ne faut point négliger. Un corps de 12 000 hommes va être mis en marche pour prendre possession de ce que nous appelons la Basse-Bavière… Cela ne plaira pas trop où vous êtes, ajoutait-il avec désinvolture ; mais je ne vois pas ce qu’on y pourra trouver à redire, et les circonstances avec les Anglais paraissent très favorables. — Il n’est pas douteux, répliquait Mercy-Argenteau[2], que les mesures prises par Votre Majesté, ainsi que l’arrangement arrêté avec l’électeur palatin, ne sont pas vus ici de très bon œil ; mais, dans le moment présent, la France a tant de motifs à devoir être modérée et sage, qu’elle ne pourrait pas se livrer à de grands écarts. »

De fait, la surprise générale, la nécessité de s’entendre et de voir plus clair dans ce jeu, semblèrent, pendant quelques semaines, paralyser l’action des différens intéressés. L’optimisme de Joseph II s’accrut de cette apparente inertie ; il pensa la

  1. Lettre du 5 janvier 1778. — Correspondance publiée par Flammermont.
  2. Lettre du 17 janvier 1778. — Ibidem.