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de grandeur, mais combien l’exécution en serait périlleuse ! Les Bulgares peuvent-ils laisser derrière eux Andrinople et toute l’armée ottomane ? Peuvent-ils, par une marche de flanc, s’exposer aux coups de cette armée qui, si peu manœuvrière qu’elle soit, ne manquerait sans doute pas de profiter de la circonstance ? Le plus probable est que les Bulgares s’efforceront de prendre Andrinople comme ils ont pris Kirk-Kilissé et que l’entreprise sera plus difficile. Ils auront affaire, soit après, soit pendant ce siège, à toute cette armée ottomane dont nous avons sommairement indiqué la position et qui n’a pas encore tiré un coup de fusil. A tous les étonnemens que nous avons déjà éprouvés viendrait s’en ajouter un plus grand encore si la bataille de demain, d’aujourd’hui peut-être, n’était pas un choc terrible, dont le résultat nous apparaît encore comme incertain. Cette bataille, même perdue, doit être la compensation et le rachat de toutes celles qui l’ont précédée. S’il en était autrement, l’effondrement de la Turquie serait irrémédiable et il ne serait même pas marqué de ce dernier reflet des gloires d’antan qui luit encore sur le front des vaincus lorsqu’ils tombent avec honneur. Mais quoi de plus vain, quoi de plus inutile que tout ce qu’on peut dire sur les événemens qui se déroulent ? Mieux vaut se taire et attendre : nous n’aurons pas à le faire longtemps.

Tournons-nous du côté de l’Europe. Avant de parler des impressions diverses et encore confuses que les bruits venus d’Orient ont produites sur les Puissances, il faut dire un mot de l’une d’elles, de l’Italie. Nous annoncions, il y a quinze jours, comme prochaine la paix entre elle et la Porte, mais elle n’était pas encore faite et des complications, qui ont eu lieu à la dernière heure, l’ont retardée de quelques jours. On ne pouvait cependant pas douter sérieusement qu’elle se ferait, car elle était conforme à l’intérêt des deux belligérans et, en dehors même de cet intérêt immédiat qui s’imposait à eux, ils étaient certainement fatigués l’un et l’autre d’une lutte qui se prolongeait sans utilité. La Porte en effet ne pouvait plus espérer conserver la Libye : elle ne continuait de la défendre que pour obtenir de meilleures conditions de l’Italie. Quant à celle-ci, elle devait désirer la fin d’une guerre qui lui coûtait cher matériellement et moralement, matériellement parce qu’elle y usait des forces qui pouvaient être mieux employées, moralement parce qu’elle avait besoin de sa liberté pour conserver et exercer toute son autorité dans le règlement des questions balkaniques, questions dont la gravité ne pouvait pas lui échapper et dont il ne lui était pas permis de se désin-