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moment où le vent était faible et permettait à peine de gouverner. »

L’action, acharnée et sanglante, se poursuivit de six heures à onze heures du soir, les deux navires se canonnant « à portée de pistolet. » Alors, le vent ayant fraichi, l’Aréthuse, toute désemparée, cessa le feu et se replia sur l’escadre. On ne pouvait songer à la poursuivre sans risquer de tomber sur vingt vaisseaux anglais. La Belle-Poule vira donc de bord ; deux jours après, elle entrait dans le port de Brest, d’où La Clocheterie envoyait à Sartine son rapport sur cet événement : « J’ai cinquante-sept blessés, disait-il, je ne sais pas encore au juste le nombre des morts, mais on croit qu’il passe quarante. Je ne saurais trop louer la valeur intrépide, le sang-froid de mes officiers. M. de la Roche, blessé après une heure et demie de combat, a été se faire panser et est venu reprendre son poste. M. Bouvet, blessé assez grièvement, n’a jamais voulu descendre. MM. de Bastrot et de la Galernie se sont comportés en gentilshommes français. Je suis tout dégréé ; mes mats ne tiennent à rien ; le corps de la frégate, les voiles, tout en un mot, est criblé de coups de canon, et je fais eau. » Il ajoutait avec simplicité : « Deux contusions, l’une à la tête, l’autre à la cuisse, me font souffrir actuellement, de manière que je n’ai guère la force d’écrire plus longtemps. »


A la nouvelle de cette attaque, que n’avait précédée nulle déclaration de guerre, un cri d’indignation s’éleva dans le royaume. « On ne saurait, dit un contemporain, exprimer l’ardeur et le désir d’en venir aux mains qui animent les officiers et les soldats… A Paris, M. Franklin est couru, suivi, admiré, adoré, partout où il se montre, avec fureur et fanatisme[1]. » Louis XVI en oublia ses instincts pacifiques. Au duc de Penthièvre, grand amiral de France, il adressa une lettre d’un ton assez ferme[2] : « L’insulte faite à mon pavillon par une frégate du roi d’Angleterre, la confiscation de navires appartenant à mes sujets, m’ont forcé de mettre un terme à la modération que je m’étais proposée. La dignité de ma couronne et la protection que je dois à mes sujets exigent que j’use de représailles… Je vous fais cette lettre pour vous dire qu’ayant ordonné aux commandans de mes escadres et de mes ports de prescrire aux

  1. Correspondance publiée par Lescure, 2 juillet 1778.
  2. Lettre du 10 juillet. Archives nationales. Carton Ordres du Roi.