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des officiers de gendarmerie et des carabiniers. « Par quatre fois les carabiniers reviennent à la charge » et laissent sur le sol cent cinquante des leurs, dont deux Vogüé[1]. Après la bataille, Condé dégage Contades, en lui donnant le temps de recueillir ses débris.

Par un assez mauvais sentiment, le duc de Broglie avait refusé le commandement suprême, craignant que la présence d’un prince du sang « qu’il trouvait trop jeune et trop incertain de caractère » ne fût une gêne pour son autorité propre. Le reproche était immérité. Condé avait déjà prouvé qu’il savait se plier devant la supériorité d’un chef. Son talent s’était encore affermi et allait devenir hors de pair à partir de 1760. Mais il lui faut auparavant passer par deux cruelles épreuves. C’est au printemps de 1759 qu’on salua pour la dernière fois à Chantilly la délicieuse châtelaine qui avait su s’y faire aimer et apprécier, en même temps que ses charmes extérieurs y avaient attiré tous ses hôtes. Le 22 juin, elle y perdit sa fille aînée, et presque aussitôt, le chagrin, tombant sur une santé déjà ébranlée, la mina sourdement. Elle languit plusieurs mois encore et ne revit plus son mari. Elle passa ainsi le plus triste des hivers, dans son grand domaine abandonné par celui qui en était l’âme, ne lui écrivant plus que quelques courts billets et espérant toujours le voir revenir à son chevet, mais en vain. La consomption de la malade augmentait de jour en jour. Vingt praticiens appelés auprès d’elle ne purent s’entendre au sujet de la nature du mal, ni des remèdes à lui opposer. Tandis qu’ils discutaient entre eux sur le cas, elle succomba[2], au bout de sept ans de mariage à peine et dans sa vingt-troisième année : pauvre fleur que l’orage n’avait pas battue encore et qui semblait s’ouvrir sur une brillante destinée princière ! Du moins Dieu la soustrayait ainsi aux terribles vicissitudes que devaient subir un jour ses deux orphelins, alors en si bas âge. Si l’un et l’autre avaient pu lire en ce moment dans l’avenir, peut-être auraient-ils préféré suivre leur jeune mère au tombeau. Mais qui pouvait prévoir le cataclysme de la Révolution, avec ses effroyables conséquences pour la maison royale ?

  1. Général Zurlinden. loc. cit. Voyez la notice de M. le marquis de Vogüé, sur son ancêtre Charles de Vogüé. Que l’auteur de cette notice reçoive ici mes respectueux remerciemens pour la communication que je lui dois des épreuves de cette intéressante relation.
  2. Le 5 mars 1760.