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femme aimante ! « Vous serez peut-être importuné de mes caresses ; car je me prépare à vous en faire beaucoup, » lui écrit-elle. Elle ne se soucie pas de recevoir l’époux volage au milieu du tourbillon de la Cour ou de Paris. Elle connaît ses faiblesses. Il y aurait autour de lui trop d’empressemens féminins, trop d’adulations intéressées peut-être. Elle préfère le tête-à-tête à la campagne et demande à son seigneur licence d’aller attendre à Chantilly le retour ardemment désiré. « D’ailleurs, insinue-t-elle, comme une sorte d’excuse pour sa requête, la solitude me paraît bien agréable, quand on a été si longtemps privés du plaisir de se voir. »

Mais voici la déception. L’arrivée du prince est retardée par la guerre, et le dépit fait changer le ton de la correspondance. « On parle du départ des ennemis. Pourvu que vous ne les suiviez pas ; que vous leur laissiez passer la Lippe tout à leur aise. »

Quand Condé rentre enfin en France le 8 novembre, ce n’est pas à Chantilly qu’il trouve sa femme, c’est à Versailles, et malade de la petite vérole. Il en est consterné. « Il l’embrasse dans son lit, » rapporte avec admiration le bon Toudouze, capitaine des chasses à Chantilly, dont le journal est un précieux document pour la vie quotidienne de ses maîtres[1].

Le 10 décembre, au bout d’un mois de grandes inquiétudes, la princesse semble guérie. On chante un Te Deum au château de Versailles « à l’aide des musiciens de la Sainte-Chapelle. » Le soir, on boit à la santé de la convalescente au bruit d’une salve de canon. Mais ce n’est qu’un mauvais son pour elle. On se réjouit d’une résurrection là où il n’y a qu’une accalmie.

En allant reprendre son commandement au printemps suivant, Condé s’arrache aux bras d’une malheureuse victime, déjà désignée pour la mort. Il est loin de prévoir que ce départ est le signal d’une séparation dernière. Il quitte la maladie pour aller retrouver la défaite. Passons rapidement sur les deux campagnes de 1759 et 1760 où il est encore en sous-ordre. Il lui reste plus d’une occasion nouvelle d’exposer sa vie en se battant comme un preux.

Dans la funeste journée de Minden, où Contades commande, on voit Condé charger à trois reprises la colonne hanovrienne poussée contre notre centre, sur une pelouse jonchée de cadavres

  1. Journal de Toudouze. Musée Condé. Copie à la Bibliothèque Mazarine.