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quatre ans les charges de grand maître de la maison du Roi, de colonel du régiment de Condé-infanterie, et de mestre de camp du régiment de Condé-cavalerie.

De telles investitures, déposées de génération en génération dans le berceau des princes, n’ont pas toujours le don de confirmer leur renommée guerrière. Ici du moins, le talisman ne devait pas être trompeur.

L’instinct naturel d’abord, l’éducation spéciale ensuite, l’ambiance elle-même, tout inclina Louis-Joseph, dès son jeune âge, vers les choses de la guerre. Son oncle et tuteur, le comte de Charolais, était d’un tempérament batailleur. Il avait vaillamment lutté en Hongrie contre les Turcs en 1717. Ce fut même à peu près la seule rançon de sa jeunesse tapageuse. Tout en donnant à son pupille les Pères Jésuites comme professeurs, afin de lui inculquer leur foi et leur science, il eut la bonne inspiration de tenir la main à ce que l’éducation, suivie à Paris, à Versailles, au château de Saint-Maur-les-Fossés, fût surtout préparatoire au métier des armes. Il attendit que l’élève fût en âge de comprendre, pour l’introduire dans le domaine ancestral de Chantilly[1], privé de maître depuis des années. En y pénétrant pour la première fois, le 3 septembre 1748, le jeune prince y reçut, avec de grands transports de joie, les empressemens de ses vassaux, qui s’y traduisirent par des roulemens de tambours, des sonneries de trompettes, des salves de mousquets, où la poudre parlait en son honneur.

L’enfant eut à la fois les oreilles frappées par ces vivats et ces sons belliqueux, les regards émerveillés des trésors artistiques dont le château de ses pères recelait les richesses et les élégances. Surtout il y avait là de grands souvenirs et plus encore des traditions guerrières à y puiser. Chantilly, c’était le joyau des Condés, c’était leur sanctuaire ; c’était le berceau de ces hommes d’armes et le tombeau de leurs cœurs, de ces cœurs qui avaient battu jadis sous des poitrines bardées de fer. Chantilly, c’était leur orgueil et leur légende. Là, s’étaient formés leurs esprits, leurs vertus et même aussi leurs vices. Leurs âmes s’étaient trempées dans cette atmosphère belliqueuse ; c’est du grand Condé que datait surtout la célébrité du lieu. C’est lui qui en avait fait dessiner les jardins par Le Nôtre, qui

  1. Voyez, sur Chanlilly, les Arts dans la maison de Condé et Chantilly et le Musée Condé, par M. Macon.