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Romano, l’auteur de notre buste de Béatrice d’Este du Louvre ; Francesco Maria della Rovere, le guerrier qu’on voit aux Uffizi, peint par le Titien, le bâton de commandement sur la hanche, dans sa carapace de fer, Dovizi da Bibbiena, dit Il bel Bernardo, jadis parfait secrétaire galant pour jeunes Florentins et futur cardinal ; Ludovico da Canossa, le diplomate francophile devenu plus tard évêque de Bayeux ; Ludovico Pio, le hardi capitaine ; Ottaviano Fregoso, le futur doge de Gênes prédestiné à une fin cruelle et son frère Federico Fregoso ; Gasparo Pallavicino, le misogyne de vingt-deux ans, et aussi le soldat-poète César Gonzague ; Accolti, dit l’Unico Aretino, moins génial que son homonyme célèbre, mais très brillant improvisateur aussi et fort subtil ; enfin Castiglione lui-même, récemment revenu de son ambassade à Londres : — tous dans leur plus bel âge, joyeux comme gens qui mettent à la voile en même temps et que n’ont pas encore séparés les tempêtes, ni endormis les escales et les ports.

Pourquoi tout ce monde était-il à Urbino ? Quand on considère ce nid d’aigle, perché dans un des districts les plus isolés et les plus inaccessibles de l’Italie, en dehors de toutes les grandes routes et communications des peuples, on comprend mal sa puissance d’attraction sur les beaux esprits du XVIe siècle. On comprend, encore moins, que ces trois génies de la grâce et de la mesure, Raphaël, Bramante et Castiglione lui-même, en soient sortis. Deux choses l’expliquent cependant : l’admirable Collection des ducs d’Urbino et la présence d’Elisabetta Gonzague. Les chercheurs et les parleurs trouvaient, là, un trésor de livres et une belle dame qui les écoutait. Quoi de plus décisif ? « Comptez-vous rester longtemps à cette soirée ? » demandait-on à un brillant esprit de la Restauration. « Je resterai longtemps si l’on m’écoute, » répondit-il naïvement. Pietro Bembo, Vénitien d’origine, était venu passer quelques jours à Urbino, avec quarante ducats dans sa poche ; on l’écouta : il y resta six ans. « La duchesse, dit Castiglione, semblait une chaîne qui nous tenait tous amiablement unis, tellement que oncques ne fut union de volonté ou amour cordiale entre frères plus grande que celle qui était entre nous. Pareille amitié se démenait entre les femmes, avec lesquelles on pouvait librement et honnêtement converser et était permis à chacun de parler, s’asseoir, gosser et rire avec telle que bon lui semblait. Mais on portait