Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 12.djvu/143

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et sa publication, en 1528. Balthazar y pensa toute sa vie, y travailla, y revint, le retoucha, le montra à ses amis, puis à tout le monde, et, l’ayant donné à tout le monde, il mourut[1].

Le succès fut immense et les éditions se succédèrent rapidement dans toutes les langues. Avant d’être publié, le Cortegiano était déjà célèbre ; il avait couru, manuscrit, sous le manteau : on avait commencé à le copier où et là, et c’est même cette circonstance qui décida Castiglione à le publier officiellement, « aimant encore mieux, disait-il, le voir sortir imparfait de sa main, que mutilé par les copistes. » Il était alors en Espagne. Il écrivit à son serviteur, un certain Cristoforo Tirabosco :


J’ai envoyé mon livre à Venise pour être imprimé par les imprimeurs d’Asola. Le livre a été mis entre les mains du Magnifique Jean-Baptiste Ramusio, secrétaire de la Seigneurie de Venise, et Sa Magnificence parlera aux imprimeurs pour leur donner tous les ordres nécessaires dans la matière. J’écris à Venise pour dire que l’ouvrage doit être tiré à mille trente exemplaires et que je compte payer la moitié des dépenses, parce que de ces mille, cinq cents doivent m’appartenir. Les trente exemplaires supplémentaires seront tous ma propriété et doivent être tirés sur papier de luxe, aussi uni et beau que possible, en somme le meilleur qu’on pourra trouvera Venise.

Au reçu de ma lettre, vous devez tout de suite aller à Venise trouver le Magnifique Ramusio et lui donner la lettre ci-incluse, qui lui dit que vous êtes mon serviteur et que vous avez des ordres pour conclure tout ce que Sa Magnificence décidera touchant le prix de la publication. Voici ce que vous aurez à fixer. Avant toute chose, le papier de luxe pour les trente exemplaires. Vous vous mettrez à sa recherche et vous en montrerez un spécimen au dit Magnifique Ramusio et s’il en est content, vous en achèterez, mais non pas sans approbation. En ce qui concerne les autres dépenses, vous ferez tout ce que Sa Magnificence ordonnera et vous lui verserez l’argent qu’il désirera. Dès votre départ, vous ferez bien de prendre cinquante ducats, que je dis à ma mère de vous donner, et s’il faut davantage, elle vous le donnera à votre retour à Mantoue. Lorsque les livres seront imprimés, j’ai l’intention d’offrir cent trente des exemplaires que je me réserve pour moi comme présens à mes amis ou parens et de vendre les quatre cents autres afin de recouvrer l’argent que j’aurai dépensé et même un peu plus, s’il est possible. Il serait bien, je pense, de vendre le tout à un libraire pour s’épargner de la peine… Valladolid. 9 avril 1527[2].


Les exemplaires de luxe étaient pour le marquis Federico

  1. Cf. Il Cortegiano del conte Baldassare Castiglione, annotuto e illustrato da Vittorio Cian. Firenze. 1910, et Baltasar Castillonois, Le Parfait courtisan, trad. de Gabriel Chapuys, Tourangeau, à Paris. 1585.
  2. Cité par Julia Cartwright dans Baldassare Castiglione, vol. II.