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çà et là quelques contradictions qui proviennent des fluctuations auxquelles est soumis, lui, un diplomate, même très avisé, mais l’ensemble des vues demeure d’une gravité et d’une importance considérables.

Deux mois avant la guerre de 1870, Morier écrivait de Darmstadt à lord Clarendon que Bismarck pensait à faire proclamer l’Empire allemand, mais qu’en présence des nombreuses difficultés soulevées par ce dessein, il se cassait la tête pour découvrir quelque deus ex machina qui l’aidât à sortir d’embarras. Il avait retenu ces mots du prince royal à Roggenbach : « Nous courons au-devant d’une grande guerre. » Le prince croyait cependant que l’Angleterre empêcherait cette guerre d’éclater. Il ne se doutait pas qu’elle conserverait, à son propre détriment, une imprévoyante neutralité.

« La France, écrit Morier avec un certain humour, se tenait sur le seuil du salon impérial dans lequel Bismarck voulait faire entrer la Prusse, et elle barrait l’entrée comme l’Ange à la porte de l’Éden, en disant : « Messieurs, l’entrée est interdite… » « L’Angleterre, ajoute Morier, aurait pu alors intervenir comme médiatrice, mais elle préféra le rôle de spectatrice. Nous avons choisi la meilleure place pour voir la grande course de taureaux. Nos sympathies vont tantôt aux taureaux, tantôt aux matadors. » Les craintes de Morier furent trouvées inopportunes par son gouvernement. Le sous-secrétaire d’État au Foreign Office, lord Hammond, croyait pouvoir affirmer, à la veille de l’orage, que jamais l’aspect de l’Europe n’avait été aussi pacifique.

Le 15 juillet, Morier prédit que la guerre serait effroyable et que la France serait vaincue. À son avis, une alliance anglo-allemande eût pu empêcher les hostilités, car jamais Napoléon III n’aurait osé affronter les deux nations unies. Le 20 juillet, le diplomate anglais qui semblait avoir changé d’opinion sur le succès immanquable des Allemands, déclarait qu’ils n’étaient pas prêts, et qu’une partie de l’Allemagne serait occupée par les Français avant le premier choc qui aurait lieu au cœur de l’Allemagne même. Et le 28, il s’étonnait fort que les Français n’eussent pas encore fait la moindre démonstration. « S’ils avaient eu besoin, dit-il, de quelques jours de délai pour se préparer, ils auraient pu envoyer 30 000 hommes, qui n’auraient rencontré aucune opposition et auraient pu détruire les ponts, les chemins de fer et rendre impossible la concentration des troupes alle-