Elle a son rythme favori : celui d’une mesure à deux, à trois, à quatre temps, où chaque temps est formé d’un groupe de trois notes (triolet) ; autrement dit, — en chiffres, — mesure à 6/8, à 9/8 ou à 1 2/8. Exemples, par ordre chronologique : dans le Roi de Lahore, le duo d’amour : « Soyons unis ; » dans Hérodiade, la déclaration de Salomé : « Ce que je veux, ô Jean ! te dire que je t’aime », et les ariosos d’Hérode ; le frénétique duo d’Esclarmonde et l’entr’acte, — malaisément descriptible, — qui suit ; le duo langoureux du Cid, le tendre « Clair de lune » de Werther ; la première phrase, énamourée, d’Alain, au début de Grisélidis, etc., etc. Assurément, de tant de motifs passionnés dont palpite l’œuvre de Massenet, beaucoup ne sauraient entrer dans ce moule rythmique ; mais un grand nombre, et les plus caractéristiques peut-être, y est jeté. Ce n’est pas qu’ils s’y trouvent mal à l’aise. Le moule est souple et comme élastique, il cède, il prête, et la phrase mélodique s’y meut librement, s’y balance avec mollesse, à moins qu’elle ne s’y étire et ne s’y étale avec une sorte de volupté.
Autres marques de la mélodie « massenetique : » elle abonde en effets de contraste. Tour à tour elle précipite et elle suspend, ou plutôt elle brise (son cours. Elle passe de brusques élans à de soudaines faiblesses, de l’emportement à la retenue, et, du paroxysme de la violence, à de mièvres et fades douceurs. Elle fait ainsi non pas se toucher, mais se heurter les extrêmes ; d’où, quelque chose en elle d’inégal, de haletant et de spasmodique, un continuel état, une apparence au moins d’excitation, de trouble et de fièvre. Telle enfin la mélodie de Massenet a commencé, telle elle s’est développée, et telle elle s’achève. Elle meurt comme elle a vécu. Sa conclusion n’est souvent que sa défaillance ou sa pâmoison suprême. « La chute en est jolie, amoureuse, admirable ; » plutôt jolie et amoureuse seulement, et, pour désigner la terminaison de cette phrase qui tombe avec une grâce, une faiblesse de femme, encore mieux que le mot « cadence, » c’est en effet le mot « chute » dont il convient de se servir.
Parmi toutes les questions, et de tout genre, que, dès le lendemain de la mort de l’illustre musicien, toute la presse, à tout le monde, a posées, je n’ai pas rencontré celle-ci : « Quelle a été, chez Massenet, la part de l’esprit ou de l’idéal classique ? » Cette part est infime. Une Hérodiade, une Thaïs, une Esclarmonde, ne possèdent évidemment que dans une très petite mesure les qualités, les vertus classiques par excellence, telles que la modération, la retenue et la maîtrise de soi. De plus, il semble bien que nulle filiation, nulle parenté ne rattache un Massenet aux maîtres d’autrefois. Il ne descend