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le bénitier, des chromolithographies ont encore leur air de jeunesse et d’étalage. Nous revenons dans la salle à manger, où le couvert était mis quand nous sommes entrés.

— Vous prendrez bien une bouchée avec nous ?

Je reconnais les mots, l’accent, la politesse de la France rurale non diminuée. Et tout de suite l’hôte ajoute, en hochant la tête, et regardant avec tristesse les deux Français :

— Vous ne nous aimez pas comme nous vous aimons. Nous avons l’œil sur la France, toujours.

Il est jeune ; il a le type conventionnel du Gaulois, et la physionomie sans repos d’un homme des villes. Tandis que nous goûtons au pâté en croûte, doré et délicieux, que la ménagère avait préparé pour le diner de midi, M. Fortunat Bélanger reprend :

— Je n’ai pas toujours été tel que vous me voyez. Il a fallu travailler, et même voyager…

— Oui, interrompt sa femme : pensez qu’il a fait deux séjours au Yukon, de dix-huit mois chacun, l’un avant son mariage, et l’autre après !

— Comme mineur ?

— Prospecteur et mineur, répond le Canadien. Il fallait dégrever le bien de mon père. J’y suis arrivé, et j’ai même gagné plus.

Lamy l’interroge sur la vie dans l’extrême-Nord. Nous écoutons. La causerie dure trop peu à mon gré. Nous quittons la ferme et retournons au village, chez le docteur Paradis.

Nous étions là depuis une heure peut-être, quand on sonne à la porte. Le docteur va ouvrir, et revient tenant une lettre à la main.

— Il n’a pas voulu entrer ! J’ai insisté : rien à faire !

— De qui parlez-vous ?

— De Bélanger : dès que nous l’avons eu quitté, ce matin, — vous vous souvenez que notre arrivée à l’improviste l’avait chagriné, — il s’est mis à écrire. Voici la lettre.

Cette lettre était adressée à Étienne Lamy, qui me l’a donnée. Je la transcris fidèlement :


.Rivière-du-Loup, Montmagny, mai 1912.

« Cher monsieur,

« Pardon de venir vous relancer, mais, si je comprends bien