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arriver frais au marché de Montréal, à plus de sept lieues d’ici !

Nous allons, entre hommes, visiter les terres. Elles sont jolies, plaisantes à l’œil, et fines de grain. Ce n’est plus tout à fait la plaine, mais une lente montée, qui fait voir toute la moisson au soleil, dès l’aurore, et au maître également. La meilleure partie est labourée. Mais au sommet de la vague, loin de nous, et dans le bleu déjà des brumes d’horizon, il y a des bois.

— À qui sont-ils ?

— Ils sont à moi. Mais ceux de droite sont à l’aîné.

J’ai pris congé de toute la famille rangée devant le perron de la ferme. La mère m’a offert un verre de « chartreuse, » qu’elle avait faite avec des herbes puissantes. Et je suis parti, regardant derrière moi, tant que j’ai pu apercevoir la maison et les gens.

J’ai parcouru, un autre jour, le chemin de Montréal à Sainte-Anne de Bellevue, qui côtoie le Saint-Laurent et les rapides de Lachine, et j’ai visité la ferme modèle du Bois de la Roche. Étables, écuries, bergeries, porcheries, poulailler, où vivent des bêtes de races choisies, j’ai visité toutes les dépendances de ce beau domaine qu’exploitent un régisseur et quatorze « engagés. » Mais je ne saurais pas juger l’agriculture de luxe. Je m’en tiens aux fermes conquises sur l’antique forêt, et transmises de père en fils, dans la même famille, presque toujours d’origine française et toujours cultivant elles-mêmes. Plusieurs études généalogiques ont été faites, sur les familles rurales de telle ou telle paroisse. On y relève des noms qui nous sont familiers, parmi lesquels beaucoup de sobriquets, de seigneuries, comme on disait jadis. Il semble qu’on revoie, rien qu’à les prononcer, les anciens soldats des régimens de France, qui se firent laboureurs quand le Canada passa sous la domination anglaise. Je relève par exemple, dans le dictionnaire des familles de Charlesbourg, par le curé Gosselin, des Amiot, Larosée, Brindamour, Aubry, Beaulieu, Bergevin-Langevin, Blondain, Bresse, Ladouceur, Latulippe, Lavigueur, Roy, Vandal, Malouin, Papillon, Provençal, Robitaille, Sansfaçon. Mais le document le plus intéressant est ce Livre d’or de la noblesse rurale canadienne-française, qui fut publié à l’occasion des grandes fêtes du troisième centenaire de Québec, en 1908. Un Comité des anciennes familles fut chargé de rechercher, dans la province, quels étaient les cultivateurs qui pouvaient justifier