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rence, qui a ses étables à droite et, à gauche, ses hangars.

— Je vous présente M. Philias Barbe.

Je vois venir à moi un homme encore jeune, maigre, roux de cheveux, qui me tend la main. Une chose m’étonne. Il ignorait, il y a une minute, qu’il dût recevoir une visite ; nous sommes à la fin de la semaine : et cependant il est rasé avec soin, il porte une chemise blanche et un complet de drap noir avec lequel il pourrait faire son tour de ville. Je ne tarde pas à avoir l’explication. Nous montons l’escalier qui conduit à la salle de réception, bien ornée ici, de tapis, de fauteuils, de rideaux et de gravures. On m’a raconté, en chemin, que M. Philias Barbe, qui possède, par héritage, un domaine de deux cents arpens, en a acheté un second, de même étendue, dans le voisinage immédiat, pour établir son fils ainé. Il est propriétaire, il est riche, la plupart des agriculteurs canadiens le sont, du moins ceux qui possèdent la vieille terre patrimoniale : mais cela ne m’explique pas la barbe fraîche, un samedi à quatre heures, alors qu’il est de tradition lointaine, dans nos campagnes, de passer chez le barbier le dimanche matin, avant la grand’messe. Au moment où nous entrons dans le salon de la ferme, — aucun autre mot n’est exact, — deux grandes jeunes filles travaillent à des ouvrages de couture. L’une est en corsage blanc, l’autre en corsage rose. Je demande en riant si les fermières canadiennes s’habillent ainsi pour faire le ménage.

— Non, bien sûr, répond l’ainée : mais, le samedi après midi, c’est l’habitude que les pères, les mères et les jeunes filles fassent un brin de toilette.

— Et qui achève l’ouvrage ?

— Les garçons. Vous n’avez qu’à voir mes frères.

En effet, un jeune homme entre, décidé et de mine intelligente, comme le père. Il est en habits de travail. La mère a dix enfans, cinq filles et cinq fils. Deux des filles sont religieuses. Les fils font valoir le domaine, et il n’y a pas besoin de valets de ferme, non ! bien que l’ouvrage ne chôme pas. Il faut des spécialistes chez maître Philias Barbe. Tout le lait des vaches doit être expédié à la beurrerie. Et, pas de retards !… Beau temps ou mauvais temps, on est toujours pressé. La grande culture, à elle seule, occuperait bien six hommes qui n’auraient qu’une demi-bonne humeur au travail ; mais le père a entrepris de cultiver les fraises, les tomates, et autres bricoles, et tout doit