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maison de Jasmin, » qu’on m’a dit être du vrai type français, et pareille aux anciennes. Elle date de 1808. C’est, en effet, en plus grand, un logement de fermiers français. Hélas ! le domaine a été vendu. Il va falloir quitter le sol défriché par les aïeux, voir détruire les plantations qui promettent et celles qui sont en plein remerciement. Le père me montre ses groseilliers et ses pommiers. La mère, — elle a eu dix-sept enfans, — me présente deux jeunes gars élancés, à l’œil timide et brillant, et me dit, avec fierté : « En voici deux, monsieur, qui seront cultivateurs, comme nous. Ils ne veulent rien autre chose. N’est-ce pas ? » Et les enfans confirment de la tête, gravement, la parole maternelle.

Nous remontons en voiture. L’automobile achève de traverser la grande île sur laquelle est bâti Montréal. Je retrouve un de ces paysages fluviaux qui sont vraiment une des caractéristiques de la nature américaine : eaux débordantes, îles et rives boisées, terres à peine émergentes, solitude des forêts primitives, noyées dans les fleuves géans. Nous entrons alors dans la paroisse de Saint-Eustache. Les cultures reparaissent, puis les bois. Nous avons pris une belle route qui coupe un bois non exploité. Et je ne veux pas dire que des bûcherons n’y sont jamais venus couper un tronc d’arbre, mais la main de l’homme, la main ravageuse n’a pas travaillé avec méthode. Les essences les plus diverses sont mêlées, et j’admire le vert tout jeune des épinettes, et ces thuyas échevelés, qu’on appelle cèdres au Canada, et dont le bois n’est jamais attaqué par la vermine. Le regard est vite arrêté ; il ne fouille pas les profondeurs : mais il y a des clairières, aux deux bords de la route, et j’aperçois, au milieu des arbres qui font le rond, des fleurs d’une blancheur vive, que je ne connais pas. « C’est le lys des bois, » me dit un de mes compagnons. Je descends, et, marchant sur la très épaisse mousse, toute gonflée d’eau, j’approche du massif sauvage. Non, je n’ai jamais vu ces trois pétales charnus, pointus, d’un blanc parfait, ouverts à l’extrémité d’une tige fine et haute d’un pied. Je cueille une gerbe de ces premières annonciatrices du printemps canadien. Nous repartons. Les terres de labour nous rendent l’horizon. Un peu de temps, nous suivons un vallon encaissé, fait en corbeille longue, et plein d’arbres qui ne dépassent les bords que du sommet de leurs frondaisons, et, quand nous sortons de là, nous sommes devant une ferme de belle appa-