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« J’ai aperçu, enveloppé d’ormeaux, un clocher fin, tout blanc, d’où partait l’Angelus du soir, et j’ai dit : Puisque mon Dieu est là présent, les Canadiens sont tout autour !

« Et, en effet, dès que le train se fut arrêté, nous vîmes une grande foule qui nous attendait, et des visages heureux, et tout à fait de la parenté. On se reconnaissait. On se disait : « Ah ! les braves gens ! Les gens de chez nous ! » Le bruit des acclamations renaissait comme la houle.

« Alors, chacun de nous a senti les larmes lui monter aux yeux, celles qui sont toutes nobles, celles qui effacent peut-être les fautes du passé.

« Et j’ai résolu de saluer, ce soir, les Canadiens-Français, qui ont fait pleurer les Français de France. »

Aujourd’hui dimanche, nous allons voir le parc de Montréal. Il est au milieu et au-dessus de la ville, montagne boisée d’assez bonne hauteur. Les premières pentes sont couvertes de belles villas et de jardins, puis les routes montent en lacet parmi des futaies. Nos chevaux tirent à plein collier. Nous rencontrons des groupes de cavaliers qui sont, certainement, des Anglo-Canadiens, car cette ville est mixte, partagée inégalement entre des races différentes. J’ai même traversé plusieurs fois un quartier où abondent les enseignes et les affiches en hébreu. Il y a peu de monde au parc ce matin, et, par momens, lorsque les érables, les chênes, les hêtres, forment muraille et font l’ogive, ou qu’une avenue transversale ouvre sur un petit plateau gazonné, mouillé et tournant, on se croirait loin d’une ville. Cependant, la ville nous enveloppe. Un caillou bien lancé retomberait sur une maison. Nous arrivons sur une vaste terrasse sablée, ménagée au sommet du parc, et protégée par une balustrade. De là, le jour étant limpide, et le paysage très plat, on a une vue géographique, étendue et précise. En bas, à une belle profondeur, apparait très net et presque sans relief le dessin de la ville, avec les rues, les avenues, les places, quelques clochers, quelques tours, et, à la périphérie, des cheminées d’usines. Elle s’infléchit à l’Ouest et à l’Est ; elle fera bientôt, nous disent nos amis Canadiens, le tour de la montagne, et elle sera une cité immense comparable aux plus grandes des États-Unis, dominée par une gerbe de futaies. Déjà son étendue et sa puissance me surprennent. Elle occupe tout l’espace entre la montagne et le Saint-Laurent, qu’on voit venir des brumes de