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sans grande valeur militaire. Cette mesure, bien que ce ne soit pas la première fois qu’elle ait été prise, a produit une impression très disproportionnée avec son objet : elle a fait couler des torrens d’encre dans le monde entier, mais plus particulièrement en Allemagne où on l’a très artificiellement rattachée à des intentions dont nous ne nous étions certainement pas doutés, mais qu’on nous a obligeamment prêtées. Après un jour ou deux de réflexion, la presse allemande s’est aperçue, ou a cru s’apercevoir du parti qu’elle pouvait tirer de l’opération et elle a déclaré tout net qu’il y avait là de notre part une provocation à l’adresse de l’Italie. Si celle-ci ne sentait pas l’offense, c’est qu’elle avait un médiocre souci de sa dignité. Nous devons dire tout de suite que l’Italie n’a pas senti l’offense. Quelques-uns de ses journaux ont bien semblé être un moment impressionnés par le grand déploiement d’intérêt que la presse allemande témoignait à leur pays, mais ils se sont rassurés assez vite, et tout porte à croire que, de la campagne allemande, il ne résultera ni bien ni mal. Ce sera un coup d’épée dans l’eau.

Quel but a eu le gouvernement de la République en procédant à cette nouvelle distribution de nos forces ? Il a pensé sans doute qu’il fallait, dès le temps de paix, adopter les dispositions qui seraient les meilleures en temps de guerre. Si la guerre éclatait dans les mers du Nord, ce n’est pas contre l’Angleterre qu’elle aurait lieu, mais contre l’Allemagne et nos vieux bateaux ne nous serviraient à rien contre la flotte allemande qui est toute neuve ; ils n’y trouveraient pas leurs équivalens à combattre, et n’auraient qu’à se réfugier au plus profond de nos ports. Dans la Méditerranée, il n’en serait pas de même ; malgré leur âge, nos vaisseaux pourraient y être utilisés ; ils y en trouveraient d’autres avec lesquels ils pourraient avoir affaire ; c’est probablement pour cela qu’on les y a envoyés. À ce motif un autre vient s’ajouter : en cas de guerre, nous aurons un intérêt primordial à maintenir nos relations avec le Nord de l’Afrique. L’Algérie, la Tunisie, le Maroc tiendront une place importante dans nos préoccupations, et rien ne serait plus imprudent de notre part que de ne pas entretenir avec eux des communications tout à fait sûres. Les pays arabes sont actuellement, dans un état de fermentation que l’expédition italienne en Tripolitaine n’a pas diminué, on le pense bien, et c’est surtout en ce sens que nous avons pu penser à l’Italie dans les mesures que nous avons prises : il ne lui importe guère moins qu’à nous que le monde arabe soit tenu en respect dans un moment où il pourrait prendre feu tout entier. Qu’on ne s’y trompe pas, en effet : la