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automobiles sont épars dans les herbes, tandis qu’autour du phare, à tous les degrés du raidillon de pierre, assise sur des planches ou sur la terre, la population mélangée, familière, contenant mal les enfans qui trottent comme des cailleteaux, écoute, comprend ou fait semblant de comprendre les discours qui glorifient Champlain. Le médaillon de bronze qui représente la France, l’œuvre de Rodin, apportée par nous, est déjà posée dans sa niche, face au large. Le vent souffle. Il fait vibrer les dix cordes tendues depuis la lanterne du phare jusqu’à terre, en couronne, et claquer le grand pavois, tous les drapeaux qui les ornent. Et, comme j’ai de longues distractions lorsque le discours est en anglais, j’entends ce que disent les drapeaux :

— Les voyez-vous, ces hommes assis au premier rang ? Ils ne sont pas d’ici.

— C’est évident qu’ils ne sont pas d’ici ! Vous parlez pour dire peu de chose : sont-ils tannés par le grand air ? Ont-ils l’honnête laisser aller du citoyen américain ?

— Je suppose qu’ils sont de Paris ?

— Vous avez un moyen bien simple de le savoir, mon cher. Ne faites pas tant de bruit ! Écoutez ! Quand ils sont de Paris, ils ne manquent jamais de le dire !

— … Justement, l’orateur vient de le proclamer : ils viennent de Paris.

— Pas très étendue, la France ?

— Pas très redoutable ?

Un drapeau où il y avait de la fumée noire dit :

— Pas très sérieuse ?

Alors, le drapeau anglais, qui n’avait rien dit, claqua d’un coup si sec qu’un fouet n’aurait pas mieux fait.

— Très sérieuse, mon cher. J’ai connu les Français à une époque où vous n’étiez pas grand’chose, soit dit sans vous offenser. J’ai connu Champlain. Il avait l’air jovial. Il plaisantait volontiers. Les sauvages lui disaient : « Nous aimons que tu nous parles. Tu as toujours quelque chose de joyeux à dire. » Mais, croyez-moi, je m’y entends : c’était un colonial, et un rude adversaire. Je dis adversaire, parce que c’est le nom qu’on donne à ses anciens ennemis quand ils sont devenus nos amis, vous comprenez ?

— A peu près.

Je laisse les drapeaux s’agiter. Je pense à ce brave dont c’est