maître partage avec lui en nature et consomme sa part... On a beaucoup blâmé ce système ; c’est le seul possible là où manquent les débouchés. Dans un pareil pays, l’agriculture ne peut pas être une profession, une spéculation, une industrie : pour spéculer, il faut vendre, et on ne peut pas vendre quand personne ne se présente pour acheter. Quand je dis personne, c’est pour forcer l’hypothèse, car ce cas extrême se présente rarement ; il y a toujours en France, même dans les cantons les plus reculés, quelques acheteurs en petit nombre ; c’est tantôt un dixième, tantôt un cinquième, tantôt un quart de la population qui vit d’autre chose que de l’agriculture, et, à mesure que le nombre de ces consommateurs s’accroît, la condition du cultivateur s’améliore ; mais le dixième, le cinquième, même le quart, ce n’est pas assez pour fournir un débouché suffisant, surtout si cette population n’est pas elle-même composée de producteurs, c’est-à-dire de commerçans ou d’industriels.
« Dans cet état de choses, comme il n’y a pas d’échanges, le cultivateur est forcé de produire les denrées les plus nécessaires à la vie, c’est-à-dire des céréales ; si le sol s’y prête peu, tant pis pour lui, il n’a pas le choix, il faut faire des céréales ou mourir de faim. Or, il n’est pas de culture plus chère que celle-là dans les mauvais terrains...
« Prenons maintenant la partie de la France la plus peuplée et la plus industrieuse, celle du Nord : nous n’y trouvons pas encore tout à fait l’analogue de la population anglaise, mais c’est déjà le double de ce que nous avons vu ailleurs, et la moitié de cette population s’adonne au commerce, à l’industrie, aux professions libérales ; les champs proprement dits ne sont pas plus peuplés que dans le Centre et le Midi, mais il s’y trouve en sus des villes nombreuses, riches, manufacturières. Il s’y fait un grand commerce de denrées agricoles ; de toutes parts, les blés, les vins, les bestiaux, les laines, les volailles, les œufs, le lait, se dirigent des campagnes vers les villes qui les payent avec le produit de leur industrie. La culture peut devenir elle-même une industrie. Cette industrie commence dès que s’ouvre le débouché régulier, c’est-à-dire dès que la population industrielle et commerciale excède une certaine proportion, soit qu’elle se trouve immédiatement sur les lieux, soit que la distance soit assez faible et le moyen de communication assez perfectionné pour que les frais de transport n’absorbent pas les bénéfices ;