Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 11.djvu/58

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sembler à tous les rires que j’ai entendus ! J’ai voulu renouveler l’expérience, et étudier, non plus de la mer, mais du milieu de ses rues, le paysage de la grande ville. Avant le coucher du soleil, j’ai ouvert la fenêtre de ma chambre, située au 11e étage de l’hôtel Vanderbilt. Me suis-je trompé ? Mais non. Je domine toutes les terrasses de l’autre côté de l’avenue, toutes les maisons qui s’élèvent au delà jusqu’à l’East River. Et je vois une étonnante, une superbe mosaïque décorative. Évidemment, chacun des élémens disparates dont elle est formée peut être discuté. Mais ce champ de couleurs a une beauté grande. Je suis sûr que New-York est affreux sous la pluie. Mais le soleil du soir, celui des rayons plus dorés et des ombres plus longues, peintre, sculpteur et grand costumier du monde, rajeunit les lignes des toitures, les arêtes des balustrades et des cheminées, et met en magnificence tout ce qui a un éclat, toute pierre et toute poussière. Les premiers plans, jusqu’au bras de mer qui coupe en deux le paysage, ont une violence de ton méridionale. Le grenat des briques et des enduits domine. Au delà de l’immense berge bâtie que j’aperçois de ma fenêtre, l’East River flambe d’un feu gris d’argent ; elle est large, moirée, couturée de rides brillantes par le passage des bateaux de toute espèce. Au delà encore, la plaine bâtie s’enfonce dans d’incroyables douceurs de mauve et d’or. Deux ponts géans limitent à droite et à gauche ce vaste fragment de New-York qui appartient à nos yeux. Et tout cela n’est pas remarquable par le dessin. Il y a peu de formes belles, mais il y a une beauté singulière de couleur, dans ces zones successives de lumière, éclatantes d’abord, et peu à peu atténuées par les brumes du couchant.

La nuit est venue. Un autre décor succède à celui du jour. Toutes les rues, des milliers de rues que je ne soupçonnais pas, divisent en se croisant le double espace des ombres d’avant la rivière et des ombres d’après. Ni la tristesse, ni avec elle la grande paix des ténèbres n’ont pu s’emparer de la ville. La joie des grands feux de bois, l’étincelle, est partout. Les deux ponts mirent leurs puissantes lanternes dans les eaux sur lesquelles mille fanaux de barques et de navires tremblent et s’avancent. A l’extrême horizon, sur la terre, dans la nuit, je découvre des lueurs minuscules qui sont des groupes de lampes électriques, comme dans le ciel des étoiles toutes menues. Et le nombre est si prodigieux de ces lumières, l’illumination est si puissante que