bien saisir la portée exacte de ces propos et de la conduite de son oncle. Elle se demandait si c’était touchant ou ridicule.
Et tout en regagnant Saint-Chartier par les petits chemins verts, — elle avait renvoyé l’auto, — elle sentit en elle toute une floraison d’idées noires : « Non, décidément, ce pauvre oncle Gabriel était grotesque ; on ne se met pas dans des états pareils parce qu’on rentre le carnier vide ! Mais, dans ce trou-ci, c’est bien simple, on ne sait rien mettre à son plan : on ignore, on dédaigne les grands événemens, — politique, art et littérature, — et on fait un sort au moindre incident journalier. Quelle petitesse ! Et je suis sûr que tante va avoir le cœur gros de la désolation de son pauvre mari. Quelle vie ! Et la solennité inlassable de Môssieur Bourin, de « maître Bourin, notaire, » un personnage d’Émile Augier. Et cette petite Marthe, — notre Marthe, — qui se déniaise, qui s’avise d’être heureuse. Heureuse. Ah ! la pauvre ! Mon Dieu ! que tout le monde est sot ! Et tante Anna, le bouquet, c’est le cas de le dire. C’est la fleur même de notre sainte province, l’aboutissement logique, nécessaire. Est-ce que Maxime va se laisser enlizer ? Cela me paraît tout de même impossible. Dieu ! quel avenir, ces gens sont bouchés, vraiment tous, le Bourin, l’oncle Gabriel, sa femme, tante Anna. Étienne, lui, bien entendu, ne peut rien faire, il est disqualifié. Mais vraiment les autres ne voient donc rien… que les convenances ? Les convenances ! parlons-en ! Il est convenable de marier ensemble le jour et la nuit sous prétexte qu’un soir, ils se sont rencontrés à la croisée d’un chemin. Il est pourtant fatal que, dès qu’ils seront libres, ils tireront chacun de son côté. Si bien que les convenances auront été satisfaites l’espace d’un crépuscule. Mais, advienne que pourra, n’est-ce pas ? ô cher oncle. Maxime aura épousé, l’honneur est sauf. Et moi, qui juge tout le monde, qu’est-ce que j’ambitionne ? Lier mon existence à un original qui, pendant que je lui fais la cour, s’en va… dîner chez sa belle, chez son horreur ! Tout cela n’est pas fort ragoûtant. C’est la vie. Il faut l’aider à s’arranger et non pas, comme a fait Maxime, se faire accommoder par elle. Louis-Napoléon, qui, j’espère, voudra bien se laisser appeler Louis tout court, n’est pas sot. Dieu merci. Il y a de la ressource en lui, comme dit le cousin Paul, sans parler d’un certain bas de laine qui ne doit rien à personne… Et puis, vraiment, s’il m’épouse, je ne le plains pas ! »