Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 11.djvu/47

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

rôle qu’il avait toujours regardé comme une corvée ridicule…

A quelque temps de là, on sut même à Filaine que la cérémonie aurait lieu dans la petite chapelle d’Épirange, fermée à la mort de la baronne.

Depuis la rupture des fiançailles d’Étienne, l’auto ne venait plus que très rarement à Filaine. Une après-midi cependant, Rolande s’y fit conduire. C’était un samedi et, les samedis, Rolande ne tenait pas en place à cause des « absences » du jeune baron. Étienne était au marché de La Châtre et Gabriel était à la chasse. Elle joua avec les fillettes dans le jardin. Vers cinq heures et demie, Gabriel rentra, la tête basse, le sourcil froncé, l’air de porter le diable en terre. Il était bredouille. Les enfans le devinèrent et prirent tous des mines soucieuses.

— Pauvre papa, murmura la petite Gabrielle.

Rolande ne comprenait rien à ce changement de tableau.

— Bonsoir, mon oncle, combien de pièces ? s’écria-t-elle.

Gabriel leva la tête ; ses yeux bleus parurent plus foncés :

— Bonsoir, prononça-t-il lentement. Tu permets que j’aille me changer ?

— Oh ! mais je veux savoir, insista la jeune fille, et elle s’avança pour tâter le veston-carnier de son oncle qui se défendit les deux mains en avant :

— Laisse, je te prie. Je n’ai rien tué ! Es-tu satisfaite ?

— Rien, mais alors vous n’êtes plus mon oncle et vous avez raison de prendre le deuil. Très réussie, la comédie. Vous me rappelez Footit à qui Chocolat, sans le faire exprès, a joué un méchant tour…

— Merci, Rolande, tu es vraiment trop bonne.

L’oncle Gabriel continua son chemin, d’un pas plus nerveux, mais sans se dérider. Sa vieille chienne le suivait, penaude, à l’unisson.

Rolande ouvrait de grands yeux et faillit éclater de rire.

— Cousine Rolande, dit Solange, il ne faut pas se moquer de papa. Il a du chagrin.

— Comment ! il a du chagrin ?

— Oui, quand papa ne tue rien à la chasse, il a beaucoup de chagrin, répéta Gabrielle.

Et les deux petites hochaient la tête ensemble, en regardant s’éloigner le chasseur malheureux. Rolande n’arrivait pas à