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Continue à le dominer par ton caractère. Si j’avais le choix entre vos deux situations, je choisirais la tienne qui est nette, propre ! Tu souffres : c’est peut-être une bénédiction. L’avenir nous le dira. L’avenir, mon bon Étienne, l’énorme et généreux avenir ; travaillons à l’avenir. Quant au passé, mon pauvre enfant, avouons qu’il y a un peu de ta faute dans tout ce qui arrive. Tu as mal défendu ton bien. Par le temps qui court, il faut se méfier des enjôleurs et des charlatans. Il ne suffit plus d’être un honnête homme : il faut être malin ! Tu as été un peu bourru, surtout ces jours-ci. Tu as été trop effacé. Ta mère et moi, nous en avons convenu ensemble plusieurs fois…

— Oui, peut-être ! se contenta de répondre Étienne. Il faut bien que vous ayez raison.

Et il résolut, mordant son frein, de se tenir coi.

La chasse fut une heureuse distraction aux soucis des deux hommes, la chasse et les battages.

Les récoltes étaient rentrées, seigles, avoines d’hiver, blés. Les battages commençaient au domaine : quatre batteuses, actionnées par une locomobile, ronflaient à la fois comme des orgues de cathédrale. Une poussière blonde montait, vapeur sèche, dans l’air chaud. Les cheveux et la chemise poudrés, les yeux clignotans, les mains agiles, cinq hommes, tous du pays, aidaient les Delage.

Après les premières heures d’énervement et de pénibles réflexions, Étienne se donnait tout entier à son labeur habituel, comme un jeune veuf qui, son tribut payé à l’adversité, songe à l’avenir. Ses épaules se redressèrent, ses regards s’affermirent, sa voix reprit sa netteté coutumière. Ses fiançailles inattendues avaient développé en lui ses tendances à la timidité. Malgré ses efforts, il n’avait jamais pu parler vraiment d’égal à égal avec Marthe. Il savait bien que la jeune fille deviendrait une bonne épouse, sérieuse et capable de s’intéresser à la vie champêtre, mais il sentait, en même temps, une résistance qui le contrariait. Avec la certitude d’être dans la bonne voie, il souffrait de certains silences un peu railleurs de cette quasi-citadine. Marthe avait beaucoup à apprendre et son orgueil qui la conseillait mal voyait l’ignorance d’autrui. Leur amour en somme n’était pas puissamment étayé, mais le mariage consoliderait tout.

Étienne n’était donc pas absolument préparé au coup de théâtre du kiosque aux jeux, mais il n’était pas non plus par-