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mais ce nouveau régime, il le haïssait maintenant plus encore que l’ancien, comme dépaysé dans son propre pays. Effrayé du génie sinistre de ces hommes, qui ne voulaient rien lui laisser de ce qu’il connaissait et de ce qu’il aimait, il se tournait avec angoisse vers l’Empereur, descendant des dieux, qu’il appelait lui-même un dieu, lui demandant sa protection contre ses propres ministres, l’interrogeant anxieusement sur ce qu’il fallait croire, puisqu’on arrachait les images des temples, sur ce qu’il fallait faire, puisque les nouvelles lois défendaient tout ce qui était autrefois commandé, commandaient tout ce qui était autrefois défendu. Quand Mutsuhito avait quitté Kioto en 1868, la foule à genoux l’avait supplié de rester, des bandes armées l’avaient suivi pour le forcer à revenir et ne s’étaient retirées que devant son ordre exprès. Partout le peuple l’avait accueilli avec une foi religieuse, et quand, arrivé à Yedo, devenu Tokio, la capitale de l’Est, il s’était rendu sur la tombe des 47 ronin, la multitude lui avait juré la fidélité que ces héros avaient jurée à leur maître.

Quels étaient donc les sentimens du jeune empereur ? Se considérait-il comme le souverain de ceux qui s’appelaient ses ministres ou comme leur prisonnier et leur otage ? Que pensait-il de leur œuvre, qu’ils imposaient au peuple en la présentant comme son œuvre à lui ? Ce qu’on sait du caractère de Mutsuhito, la fierté, le goût des belles manières qu’il avait hérités de son père, l’horreur du désordre, que lui avaient donnée les tristes expériences de son enfance, tout tend à prouver que les chefs de la Révolution lui inspiraient de l’aversion ; aussi, cherchant auprès de lui un intermédiaire, nommèrent-ils chancelier Sanjo, qui, du moins en apparence, dirigea les affaires de 1868 à 1885 : noble de cour, il savait transmettre à l’empereur sous la forme la plus respectueuse et avec l’assurance d’un dévouement sincère les désirs ou même les ordres des chefs de la Révolution. Un seul de ces derniers réussit à gagner avec le temps la faveur du monarque : Okubo ; dès cette époque Mutsuhito avait le don de connaître les hommes, il avait compris les grandes qualités d’Okubo ; tout en réprouvant les exagérations d’un esprit porté à l’utopie, il lui donna sa confiance et, la lui conservant jusqu’au bout, réussit à le faire triompher de ses adversaires. Avec l’âge, en effet, le caractère de Mutsuhito se formait ; l’affection du peuple augmentait