presque équipés à l’européenne. Chez l’enfant l’orgueil succède à la curiosité, lorsque dans ce palais, où il a connu la pénurie, où ses serviteurs ont connu la misère, le shogun agenouillé devant son père et devant lui répand des monnaies, des armes, des pièces de soie et de brocart. Bientôt ce seront de tout autres émotions. Le mikado et le prince héritier sortent du palais pour conduire des processions solennelles aux temples des dieux, leurs ancêtres. Pareil fait ne s’est pas produit depuis des siècles. Le confucianisme chez les grands, le bouddhisme dans le peuple ont pu affaiblir la croyance au shinto, l’invasion étrangère la ravive, il faut maintenant se décider, ou croire, ou ne pas croire, et l’on ne peut pas ne pas croire, ne pas se persuader que le sol national est un sol sacré, que les dieux créateurs le protègent, que l’image vivante de leur protection est le mikado, leur fils. Aussi partout où paraissent Komei et Mutsuhito voici des foules prosternées ; le noble de cour s’y mêle au samurai, le marchand au paysan. C’est un peuple qui s’offre, qui supplie son prince de vouloir accepter le don qu’il fait de lui-même. Cette offre produit des mouvemens differens chez le père et chez l’enfant. Komei, élevé dans les idées du passé, ne comprend de cet hommage que la soumission ; s’il pouvait s’imaginer que son peuple osât l’aimer, il s’en offenserait ; lui-même, quand il adore ses ancêtres, n’éprouve qu’un froid respect, ne trouve que des mots, des gestes de convention. Dans l’âme au contraire de Mutsuhito naissent ces sentimens, qui feront un jour la force et la gloire de son règne : il entre en communion avec ses ancêtres par la piété qu’il leur voue, par la protection qu’il croit recevoir d’eux, en communion aussi avec son peuple, dont il leur transmettra les prières.
Le mouvement qui jette la foule aux pieds du mikado est plein de haine contre l’étranger. La guerre sainte a été décidée, l’Empereur lui-même la proclamera, il se rendra solennellement dans le temple du dieu de la guerre pour y donner au shogun le glaive sacré qui chassera les barbares. De jour en jour cependant, de mois en mois on remet la proclamation, finalement on convient de s’abstenir. Et cet aveu d’impuissance, qui nuit aux dieux mêmes du pays vaincus par une puissance inconnue, provoque chez tous un affreux découragement. Cette fois encore combien Komei et Mutsuhito en sont diversement affectés ! Si les étrangers sont pour Komei des êtres impurs,