Elle a très bien vu et elle signale à plusieurs reprises un des défauts les plus graves du caractère français : le mépris ou le dédain du Français pour son métier, pour la profession qu’il exerce. La vanité personnelle fait tort ici à la vanité professionnelle et par la vanité personnelle la vanité professionnelle finit par être complètement détruite, ce qui est un très grand malheur : « Paraître ce qu’on est, c’est un crime ; paraître ce qu’on n’est point, c’est un succès… Faire valoir la beauté qu’on a, faire briller l’esprit qu’on possède, dépenser une fortune réelle et se parer d’un vrai talent, il ne faut pas beaucoup d’imagination pour cela ; mais se recomposer une figure, se faire une mine grave quand on a un minois chiffonné, dépenser beaucoup quand on n’a rien, se poser en homme de science quand on est un dandy ou en élégant quand on est un homme de science, se faire papillon quand on est abeille ou se faire tigre quand on est mouton ; passer pour une femme politique quand on valse bien ou pour une évaporée quand on est mère de famille ; faire croire que l’on est financier quand on est astronome et que l’on est auteur français quand on est né en Allemagne : voilà qui est amusant, voilà qui occupe l’existence. » — C’est ce qui est cause des révolutions, chacun voulant sortir de sa sphère comme il veut sortir de son tempérament. « La France n’est le pays des révolutions, que parce qu’elle est le pays des prétentions. Le jour où chacun mettra son orgueil dans les qualités qu’il a, nous serons guéris et le monde se reposera. » — Elle y revient un an plus tard : « … Ainsi de nos jours chacun rougit de son métier et, tout en l’exerçant, chacun n’a qu’une pensée qui est de paraître ne le point exercer. Mais on fait mal ce qu’on n’est point glorieux de faire. Si le génie est l’idée fixe, le talent est le travail passionné… Il faut qu’un notaire ait l’air d’un notaire, que ses manières calmes et simples inspirent la confiance. On ne va point conter ses secrets et dicter son testament à un dandy, n’est-ce pas ?… »
La cause de cela, c’est la vanité d’abord et c’est aussi notre manie de railler les ridicules professionnels. On s’est moqué de la gravité des médecins, de la perfection d’articulation des acteurs, de la gaité des perruquiers, du pédantisme des professeurs. Il eût fallu les en louer. La qualité professionnelle transportée dans le monde y devient un défaut ; mais ce défaut est le signe de la persistance et de la profondeur de cette qualité et