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compagnie de perdreaux qui monte devant vous à grand bruit peureux… Ah ! mon grand ! nous ne sommes pas les maîtres du destin. Il y a des momens où il faut baisser la tête, accepter,… remercier ! Plus tard, on comprend mieux…

Gabriel, serré dans son veston kaki, avait sur la tête un feutre mou, rond, qui devait avoir reçu pas mal d’averses au long de sa carrière, mais qui était orné de trois plumes prises à l’aile de la première perdrix rouge tuée l’année d’avant. Il parlait à mi-voix : il voulait bien verser de bonnes paroles dans le cœur de son enfant déçu, mais il ne tenait pas à effaroucher le gibier.

Gabriel Baroney chassait religieusement, avec une joie de néophyte, un zèle toujours neuf et une gravité qui n’admettait pas les plaisanteries. « Chasser : c’est une des grandes traditions humaines. » Aussi avait-il du dédain pour ceux qui faisaient de ce devoir une simple distraction, une promenade champêtre, destinée surtout à donner de l’appétit. Il chassait pour tuer, pour apporter des proies au logis ; il chassait, comme les hommes de l’époque des cavernes, pour nourrir sa famille.

Et il avait une telle foi dans la vertu de cette sacro-sainte occupation qu’il cessa bientôt de parler à son compagnon pour se livrer tout entier à sa passion. Rip et Jap étaient de la partie, le jeune Jap obéissant à Étienne, la bonne Rip devant Gabriel.

— Il n’est chasse que de vieux chien ! avait coutume de répéter son maître quand on l’interrogeait sur l’âge de Rip.

Et de fait, Rip, un peu lourde à la maison, amie des paillassons et du coin du feu, se réveillait vers la fin d’août. Elle devinait que la grande fête approchait, qu’elle allait en être, et que son maître, toujours excellent, lui prodiguerait caresses, bons morceaux et complimens. C’était une chienne griffon, d’une couleur indéfinissable, à longs poils jaunâtres, roussâtres, aux yeux dorés capables d’exprimer tour à tour le contentement, la crainte, le doute, la reconnaissance. Parfaite en plaine, d’un arrêt impeccable, elle se surpassait dans la chasse aux buissons, aux « bouchures » comme on dit de ce côté-là du Berry. La minuscule truffe rose de son nez en guise d’éperon, ramassée sur ses pattes, elle entrait dans les ronces qui glissaient tout le long de son corps agile. Mais, Rip disparue, Gabriel Baroney devinait tout ce qui se passait et il s’apprêtait à tirer le lapin qui allait bondir. Au coup de fusil, Rip réapparaissait, contente, puis très vite humble.