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force naturelle, elle crée une force sociale : la richesse ; pour contrebalancer l’intelligence naturelle, elle crée une intelligence sociale : l’éducation, qui souvent détrône l’instinct » (qui, comme l’a remarqué Nietzsche, consiste toujours, beaucoup moins à élever les médiocres au niveau des supérieurs, ce qui lui est impossible, qu’à abaisser les supérieurs au niveau des médiocres, ce qui est toujours facile.)

Ainsi de suite et de cette façon, en demi-démocratie comme en régime aristocratique, la Société fait ce qu’elle fit toujours, et seulement plus ou moins : elle combat les supériorités naturelles qui lui seraient salutaires, mais qui l’humilient, pour les remplacer par des supériorités factices qui la perdent, mais qui lui plaisent, en cela au moins qu’elles ne lui déplaisent pas. Il n’y a à cet égard rien de changé que la méthode et les bénéficiaires ; le fond est le même.

Le régime parlementaire, qui précisément est une des méthodes de la société nouvelle pour créer des supériorités factices et pour éliminer les supériorités vraies, trouve un juge sévère dans le vicomte de Launay. Ce régime abaisse les caractères de la façon suivante : pour entrer au Parlement et, une fois que l’on y est, pour se hisser au pouvoir et pour s’y maintenir, il faut mentir et calomnier sans cesse. Oh ! « l’on calomnie très fort sans être méchant et l’on ment beaucoup sans être menteur ; » mais enfin on ment toujours et l’on calomnie incessamment ; « c’est un effet constitutionnel qu’il faut subir. Il en résulte que ces méthodes se répandent dans le monde non politique lui-même : « Nous étions jadis francs, généreux, braves, élégans et spirituels, et voilà que nous devenons fourbes, avides, poltrons, sales et bêtes. Des roués bêtes, oh ! Nous étions un peuple de trouvères et de chevaliers ; nous devenons un peuple de vieux avoués retors et rapaces, tristes et lourds, ne riant jamais — que d’une belle action… »

Son résumé sur l’histoire politique à laquelle elle assiste est celui-ci : « Il n’y a que deux partis : le parti de ceux qui veulent tout garder, le parti de ceux qui veulent tout prendre. » Il y a apparence, et elle prophétise dès 1846 une révolution sociale. Il y avait apparence aussi.

En 1847, pendant la campagne des banquets, elle disait joliment : « Allons, c’est net. C’est le veau froid contre le veau d’or. » Elle avait de bons résumés historiques.