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aux Paroles d’un croyant, déjà le nouveau héros de George Sand est un vénérable curé, comme celui de Valentine fut un chanteur, et celui de Fiamma un avocat, et celui de Lélia un poète… Tout cela faisait dire l’autre jour à un mauvais plaisant : « C’est surtout à propos des ouvrages de femmes que l’on peut s’écrier avec M. de Buffon : « Le style, c’est l’homme. »

Elle a parfois la dent fine et dure, comme quand, sur Marie Joseph Chénier raillant lourdement Chateaubriand, elle dira : « Chénier, spirituel comme le doute et amer comme le remords. »

En femme du monde qui est sans cesse en plein contact avec le public littéraire, elle sait très bien quelle est la clientèle de chaque auteur, qui sont ceux qui l’aiment, qui sont ceux aussi qui ne sauraient pas l’aimer, quoi qu’ils puissent faire. Par exemple, sur Victor Hugo, elle dira que la France se partage en gens passionnés et en gens affairés, et que ceux-là sont tous Hugoïstes et que ceux-ci le détestent sans l’avoir lu, et, du reste, s’ils le lisaient, le détesteraient davantage. « Il a pour admirateurs le peuple, les femmes et les hautes célébrités littéraires, c’est-à-dire la partie rêveuse et passionnée de la nation ; il a pour détracteurs le Roi, les journalistes voltairiens et la classe bourgeoise, c’est-à-dire la partie affairée de la nation, les gens occupés qui n’ont pas le temps de s’exalter. [Oh ! disons simplement : qui n’ont pas le temps d’avoir du goût] et qui ne connaissent les ouvrages de nos auteurs modernes que par fragmens dénaturés. Bref, Hugo a pour détracteurs tous les gens qui ne l’ont pas lu. Nous ne parlons pas de ses rivaux. Ceux-là plus que personne l’admirent. La preuve, c’est qu’ils le haïssent. On ne hait pas pour rien. »

Le discours de Victor Hugo à sa réception à l’Académie l’a déçue. Elle s’attendait à ce que Victor Hugo entrât à l’Académie en conquérant, rappelant ses précédens échecs avec une hautaine amertume, se proclamant vainqueur. Victor Hugo se présenta en homme du monde, fit l’éloge de son prédécesseur, qui l’avait honni, fut la politesse même et la même courtoisie, et, au lieu d’être satirique, fut éloquent. Mme de Girardin était double : elle était très satirique et elle était très femme du monde ; comme satirique, elle eut du dépit ; comme femme du monde, elle comprit que Victor Hugo avait été plein de tact, ce qui lui permit de se ressaisir ; et elle applaudit, tout en laissant apercevoir